Près de 15 000 hectares partis en fumée au 15 août
L’été a été chaud dans le sud-est de la France et en Corse. Si, au 21 août, date où nous écrivons ces lignes, on est encore très loin des chiffres de 2003 (73 300 ha), ce ne sont déjà pas moins de 14 900 ha qui ont été ravagés. Par comparaison, l’an dernier à la même date, « seulement » 9 400 étaient partis en fumée et 12 140 en fin de saison.
Le lieutenant-Colonel Michael Bernier, responsable Communication à la Direction générale de la Sécurité civile et de la gestion des crises, note une nette montée en puissance des surfaces brûlées et des moyens mis en œuvre : « En 2016, 4 500 largages aériens ont été réalisés. Au 18 août 2017, on en est déjà à 7 300. Et le mois d’août n’est pas fini ! ». Un manque évident de précipitations, des températures très élevées et les épisodes venteux sont les ingrédients propices aux départs de feux qui ont une nouvelle fois été réunis. Dès le 24 mars, la Corse est touchée avec quelque 300 ha déjà partis en fumée à Bastelica, puis presque autant le 30 mai à Bonifacio. D’ailleurs, le dispositif aérien de lutte contre les feux de forêt a été prépositionné en Corse au 15 juin, avec deux semaines d’avance sur le calendrier.
Le 5 juillet, ce sont 400 ha à proximité d’une zone de tir du camp militaire de Captieux dans les Landes qui ont été parcourus par les flammes. Depuis, le sud-est et la Corse sont régulièrement touchés, notamment depuis le 15 juillet avec 800 ha dévastés à Saint- Cannat (Bouches-du-Rhône) et plus de 1 240 ha à La Bastidonne (Vaucluse), le 24 juillet. Et la Corse a déjà payé un beau tribut. Dans les Bouches-du-Rhône, on dénombrait 141 départs de feux et 1 261 ha parcourus au 9 août. Une forte hausse par rapport à 2013 (78 feux pour 90 ha), 2014 (75 feux pour 12,11 ha) et 2015 (39 feux pour 12,8 ha).
En 2016, il y a eu 395 feux pour 4 794 ha brûlés. Malgré des conditions tout aussi favorables au feu, le Gard a été relativement épargné, avec un total de 200 ha au 15 août.
« Nous avons connu une hausse des départs de feux, le plus souvent en zone péri-urbaine avec des risques importants pour les habitants et les biens. La chance, c’est de ne pas avoir eu de simultanéité des feux et d’avoir bénéficié à chaque fois des moyens aériens de la Sécurité civile »
La foudre et les bulldozers
Une enquête menée auprès de quelques Sdis montre que les départements impactés ne sont pas tous logés à la même enseigne quant aux causes déclenchant ces incendies dévastateurs, et donc aux enseignements tirés. Dans le Vaucluse, le commandant Pierre Augier, adjoint au chef de groupement Opérations, note « une sécheresse critique, comparable à celles de 2004 et 2007, avec beaucoup plus de feux liés à des phénomènes de foudre que ces dernières années ». C’est le cas de la Bastidonne avec un feu qui s’est déclaré le 24 juillet en milieu de massif, dans une zone inaccessible et difficilement détectable. Et cela s’est produit un jour de vent à 90 km / h. Le cœur du chantier étant inaccessible, il n’était pas attaquable par les moyens terrestres. Il a fallu que le groupe d’appui de la Sécurité civile crée des pistes d’accès pour les engins sapeurs-pompiers avec des bulldozers.
Un autre motif a été pointé du doigt : celui de la pression incendiaire exceptionnelle, avec des origines de départs de feux humaines. En cause, les mégots de cigarettes (les cendriers deviennent souvent des options dans les véhicules) et les écobuages, malgré les interdictions à cette période. Une pression incendiaire inconnue jusqu’alors qu’il faut désormais intégrer, en plus des mises à feu intentionnelles sur certains secteurs. Parmi les anecdotes : des adeptes du pique-nique qui n’hésitent pas à allumer un barbecue en plein massif.
Résultat : une côtelette non consommée, bien cuite, encore collée sur la grille, et 250 m2 détruits. À Peynier (13), c’est l’utilisation d’une disqueuse qui a fait des étincelles, détruisant 72 hectares.
Formation et sécurité renforcées
Cette année a connu de gros épisodes de vent, avec un mistral qui soufflait aussi la nuit, à 80 km / h à 4 heures du matin. « Un phénomène assez rare qui a rendu la lutte encore plus compliquée et a permis des propagations de feu plus importantes, alors que la nuit est le moment où nous avons rendez-vous avec le feu pour le mettre sur le museau », constate le colonel Frédéric Marchi-Leccia, directeur adjoint du Sdis 83. Les trois gros feux qui ont frappé le Var ont démarré à 19 h 30, 22 heures et minuit, en dehors des heures de vol des moyens aériens !
À Bormes-les-Mimosas, 300 ha ont été brûlés durant la première heure, ce qui n’est pas rien sur un laps de temps aussi court. Les derniers gros feux significatifs datent de 2006, des anciens sapeurs-pompiers sont partis, des jeunes sont arrivés et sont formés par des collègues qui n’ont pas forcément connu de grosses interventions pour feu. Une érosion des connaissances qui rappelle la nécessité de l’entraînement pour être en capacité de faire face, analyse le colonel. Avec déjà 5 000 ha dévastés, des pluies toujours pas annoncées et une saison non terminée, il cite le contrôleur général Éric Martin qui disait : « Nous sommes dans une poudrière végétale ». « Dans l’Hérault, après une saison 2016 marquée par un accident dramatique (1 SP décédé et 3 brûlés), il y avait de l’appréhension chez les sapeurs-pompiers », explique le lieutenant-colonel Jérôme Bonnafoux, chef du groupement Formation du Sdis 34. Un gros travail a été réalisé dans le renforcement de la sécurité pour que tout le parc de véhicules et les équipements soient aux meilleures normes de sécurité.
« Jusqu’à présent, nous avons plutôt été confrontés à de multiples petits départs de feux. Pour faire face, plus le risque est important, plus on met de personnels FdF sur le terrain », précise Jérôme Bonnafoux. Le choix a été fait de louer trois avions bombardiers d’eau Air Tractor qui peuvent larguer 3,3 tonnes d’eau, de retardant ou de moussant, prêts à décoller, avec un ravitaillement au pélicandrome de Béziers. Cela représente un coût de quelque deux millions d’euros, et la volonté réaffirmée du président du Sdis.
La solidarité opère
Dans les Bouches-du-Rhône (141 feux et 1 261 ha parcourus au 9 août), la solidarité nationale s’est opérée à trois reprises : plusieurs colonnes affectées en curatif sur le feu de Saint-
Cannat, jusqu’à cinq colonnes engagées, et des renforts à pied de la zone Nord du 24 au 28 juillet ; et depuis le 5 août, l’affectation d’une colonne de la zone Est basée au centre de formation départemental (CFD).
Durant les plus fortes journées à risques, plus de 500 sapeurs-pompiers ont été mobilisés, en plus des 500 assurant le dispositif de garde journalier. Parmi les moyens opérationnels, le recours aux drones a complété l’aéro-surveillance et un troisième HBE a été mis en place sur deux périodes. Le 26 juillet, ces trois appareils ont effectué 350 largages. Les personnels et les moyens ont été et sont encore très sollicités. Lors de la journée du 25 juillet, 76 sapeurs-pompiers, dont certains des colonnes de renfort, ont été pris en charge par le Sousan (« soutien sanitaire ») dans les Bouches-du-Rhône : 5 évacués en centre hospitalier, 14 en état d’épuisement, 38 pour inhalations de fumées, céphalées ou nausées, 26 pour rinçages oculaires, 4 pour traumatisme.
Réaction de la FNSPF
Éric Faure, président de la FNSPF, s’est rendu dans les Bouches-du Rhône, le Var et en Corse-du-Sud auprès des sapeurs-pompiers mobilisés. Et globalement, l’analyse s’avère peu optimiste : « Une saison des feux qui commence plus tôt et qui est plus difficile que d’habitude, des interventions quotidiennes pour répondre au risque courant en hausse (+21 % en 10 ans), des ressources humaines en baisse(-3 % en 10 ans), des casernes qui ferment, un parc de camions-citernes vieillissant et des moyens aériens réduits », s’inquiète Grégory Allione, vice-président de la FNSPF. « L’État laisse les collectivités dans une forme de schizophrénie entre la réduction des dépenses et toujours plus de responsabilités en matière de réponse pour les situations, du quotidien comme de l’exceptionnel, déclare-t-il.
Avant de conclure : pourtant, malgré toutes ces restrictions contraignantes et les sollicitations qui augmentent, les sapeurs-pompiers sont toujours sur le terrain pour mener à bien leur mission, leur engagement, et préserver des milliers d’hectares. »
Texte Martine Debette
POUR VOUS ABONNER AU MAGAZINE SAPEURS-POMPIERS DE FRANCE, C'EST ICI !