Covid-19 | Courrier du Président de la FNSPF à monsieur le Premier ministre
Le 23 mars 2020, dans un contexte de guerre sanitaire contre le virus Covid-19, le président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, Grégory Allione, s'adresse au Premier ministre, Édouard Philippe. Ce courrier fait un point de situation et dresse les problématiques rencontrées par les 250.000 sapeurs-pompiers de France, mobilisés depuis le début de la crise sanitaire.
Monsieur le Premier ministre,
Comme le Président de la République l’a souligné dans son adresse aux Français le 16 mars dernier, les 250.000 sapeurs-pompiers de France sont mobilisés, depuis le premier jour, dans la guerre sanitaire déclarée contre le virus Covid-19.
En votre qualité de responsable de la préparation et de la coordination des pouvoirs publics dans la gestion de cette crise majeure, je souhaite vous faire part des problématiques d’ores et déjà soulevées du fait de cette situation exceptionnelle au sein de notre communauté.
Sur le plan humain, l’excellente réactivité des sapeurs-pompiers, professionnels et volontaires, dans les régions déjà les plus durement touchées par l’épidémie (Grand Est, Hauts-de-France, Ile-de-France) nous a permis de maintenir notre potentiel opérationnel au meilleur niveau.
Dans l’ensemble des territoires, en métropole comme outre-mer, nos effectifs se sont massivement mobilisés pour stopper la propagation du virus, sauver des vies et répondre au surcroît sensible -de l’ordre de 30% dans les départements les plus touchés- d’activité de secours d’urgence aux personnes engendré par cette épidémie.
Des mesures de portée nationale sont cependant nécessaires pour soutenir dans la durée cette mobilisation, tout en protégeant cette ressource humaine indispensable à la réussite de l’effort collectif engagé par notre pays.
Pour favoriser l’engagement opérationnel des sapeurs-pompiers, il appartient ainsi, en anticipation de la propagation du Covid-19 à l’échelle nationale, de leur garantir, comme pour les personnels soignants, l’accès aux dispositifs de garde d’enfants mis en place dans les crèches, écoles, collèges et lycées, sans laisser cette question à l’appréciation discrétionnaire des recteurs ou des directeurs académiques des services de l’Education nationale (DASEN).
De même, les sapeurs-pompiers volontaires en chômage technique, en activité partielle, en arrêt de travail indemnisé ou en congés, et qui ont de ce fait de la disponibilité opérationnelle, doivent se voir reconnaître la possibilité de se rendre pleinement disponibles pour exercer leur engagement citoyen auprès des populations.
Afin de maintenir la capacité opérationnelle, il convient enfin, comme pour les personnels de santé, de déroger aux instructions données par les agences régionales de santé (ARS) aux médecins de ville et d’ouvrir, sur décision du médecin-chef du service d’incendie et de secours (SIS), la possibilité aux sapeurs-pompiers comptant dans leur famille un cas suspect d’atteinte au coronavirus de poursuivre leur métier ou leur activité munis d’un masque de protection.
Sur le plan opérationnel, les sapeurs-pompiers sont d’ores et déjà pleinement mobilisés en première ligne avec les professionnels de santé -et pas seulement en appui de ces derniers – dans l’effort national de guerre sanitaire.
Partout en France, ils prennent en charge des personnes atteintes par le covid-19, participent aux transports inter-hospitaliers par voie terrestre ou héliportée, assistent et soutiennent les militaires dans le montage de l’hôpital de campagne des armées à Mulhouse.
Les officiers du service de santé et de secours médical (SSSM), médecins et infirmiers sapeurs-pompiers, appuient et soulagent les centres de réception et de régulation des appels (CRRA) 15 des services d’aide médicale urgente (SAMU), démontrant toute l’importance du déploiement d’une coordination médicale au sein des centres opérationnels départementaux d’incendie et de secours (CODIS). Les pharmaciens sapeurs-pompiers effectuent un travail remarquable sur les aspects logistiques.
Le ralentissement de la vie économique et sociale lié aux mesures de confinement conduit à une réorientation de l’activité opérationnelle vers le secours d’urgence aux personnes et à un accroissement du nombre de transports de victimes vers les structures de soin, transports assurés pour plus de la moitié par les sapeurs-pompiers, et qui concernent de manière grandissante des cas liés au coronavirus.
Pour les conforter dans leur action, les sapeurs-pompiers ont besoin sur plusieurs points d’un renforcement de leur capacité d’autonomie opérationnelle.
S’agissant tout d’abord de la réception des appels, il apparaît déraisonnable de continuer à acheminer le numéro d’urgence 112, dans les quatorze départements où il est reçu par les CRRA 15, dans un contexte où les SAMU sont submergés par un flux massif d’appels, auxquels il leur est difficile de répondre sur le champ. Dans ces territoires, la réception du 112 doit donc être basculée immédiatement vers les centres de traitement de l’alerte (CTA) des SIS.
Une plus forte autonomie doit également être donnée aux SIS dans la conduite opérationnelle de leurs interventions, avec la consolidation réglementaire des coordinations médicales mises en place par les SSSM dans les CODIS-CTA afin d’une part, de renforcer l’expertise du traitement de l’alerte et d’autre part, d’assurer la gestion des bilans transmis depuis le terrain par les sapeurs-pompiers en lien avec les SAMU.
Plusieurs dispositions doivent enfin être prises afin d’améliorer la situation matérielle des SIS.
De manière urgente car il s’agit de la priorité absolue, il convient de pallier le risque de rupture prochaine d’approvisionnement de plusieurs SIS en masques chirurgicaux et FFP2 et de débloquer sans délai des masques de la réserve nationale ou de Santé Publique France au profit des sapeurs-pompiers.
De même, la continuité de l’approvisionnement des SIS doit être assurée s’agissant des matériels et produits nécessaires à la gestion de cette crise (équipements individuels de protection, tenues, gants, oxygène…), tout comme les plans de réorientation des ARS doivent être connus des SIS pour leur permettre d’être efficients dans la coordination des moyens.
En cette situation exceptionnelle de crise, il est enfin indispensable d’autoriser les préfets à suspendre les règles relevant de l’activité courante (contrôles techniques des véhicules…), lesquelles ne doivent pas venir entraver la mobilisation opérationnelle qui doit être la plus massive possible.
Je vous remercie de l’attention que vous voudrez bien accorder à ces différentes requêtes et reste à votre entière disposition pour toute précision complémentaire éventuelle.
Veuillez agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de ma très haute considération.
Grégory Allione
Copie à :
- M. Christophe CASTANER, ministre de l’Intérieur.
- M. Alain THIRION, préfet, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises.