Du feu sacré au sacré feu !

Opérationnel - Le 07 juin 2019

[Magazine] L’incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril dernier, a mis en lumière les spécificités des feux de cathédrales. La Sainte-Chapelle à Paris, les cathédrales de Noyon (Oise), de Bourges (Cher), de Troyes (Aube) et de Chartres (Eure-et-Loir) ont connu de tels sinistres à travers l’histoire.

DU FEU SACRÉ AU SACRÉ FEU !
Pompe à bras des combles de Notre-Dame avant dépôt au musée de la BSPP.

Passer de la passion d’un métier à la Passion du Christ n’est pas courant. C’est ce à quoi les sapeurs-pompiers ont été confrontés ce lundi 15 avril 2019, à partir de 18 h 50. Les feux d’églises sont plus fréquents que les feux de cathédrales, moins nombreuses. Leur destruction totale ou partielle fut plus souvent la conséquence de la foudre ou des guerres. Le feu de toiture de Notre-Dame de Paris a d’ailleurs des similitudes troublantes avec les photos de presse publiées lors de la Seconde Guerre mondiale. Si on ne connaît pas encore l’origine du feu de combles, les travaux de réfection de cette toiture sont dans l’œil du cyclone, comme souvent pour les feux de cathédrales, hors conflits.

Pendant les périodes des bâtisseurs, les ordres religieux et la lutte contre le feu étaient de leur sacerdoce. Les édifices religieux étaient souvent le lieu de dépôt de seaux, de crocs et d’échelles. Il était facile d’y trouver le matériel de lutte contre l’incendie tandis que le clocher servait à alerter la population d’un sinistre existant. Pour la Cathédrale de Strasbourg par exemple, dans son règlement de police du 31 décembre 1810, le maire Brackenhoffer rédige son organisation des secours et de la police aux incendies. Il précise les disposions déjà prises par le règlement du 24 Nivôse An 7, dans l’article 2 : «Les gardes de la tour de la Cathédrale ont à veiller exactement aux incendies ; en faisant à cet effet leurs rondes tous les quarts d’heures ; s’ils aperçoivent un incendie, ils donneront l’alarme en sonnant le tocsin ; ce signal, aux trois ou quatre répétitions sera suivi d’un ou deux coups secs de la grande cloche, pour indiquer que l’incendie est dans la première ou deuxième Division de la ville (la ville est scindée en deux divisions et l’on voit là déjà les indices des sonneries de feux….) en même temps il sera arboré dans la direction du feu des fanaux si c’est de nuit, des drapeaux si c’est de jour, au nombre d’un ou deux selon la Division.» Suivent d’autres dispositions toutes aussi judicieuses telles que «le tocsin faiblira au fur et à mesure des progrès de l’incendie», ainsi que des mesures concernant des feux multiples ou des fumées suspectes jusqu’à un kilomètre (banlieue et villages voisins).

La suite est un régal pour qui s’intéresse à l’histoire des pompiers, mais rien n’était prévu en cas d’incendie dans la cathédrale si ce n’est la présence de gardes dans l’édifice, des « agents de sécurité » qui, semble-t-il, étaient en nombre… Plusieurs cathédrales dans le pays ont eu à connaître, hors conflits, des désastres de plus ou moins grande importance, telles celles de Noyon (Oise), de Bourges (Cher), de Troyes (Aube) ou de Chartres (Eure-et-Loir)… certaines par deux fois et, depuis peu, Notre-Dame de Paris.

Reliques

Cette cathédrale de renommée mondiale est située au cœur de Paris, sur l’île de la Cité, ancien fief des Parisis et berceau du centre des décisions du pays. Elle fut construite avant sa voisine d’en face, la Sainte-Chapelle, qui a subi plusieurs incendies dont un en 1777 et un autre le 26 juillet 1831 où, dans « Mémoires », Mlle de Montpensier écrit que les moines font la chaîne depuis la Seine. Il y a des similitudes d’événements liant la Sainte-Chapelle à Notre-Dame.

La Sainte-Chapelle est édifiée, selon la volonté du roi Louis IX et futur Saint-Louis, pour y conserver 22 reliques de la Passion du Christ. Il n’en reste aujourd’hui plus que trois : un fragment de la croix, un clou et, enfin, la plus célèbre, la couronne d’épines. Elles furent remises en 1804 à l’archevêque de Paris et conservées aujourd’hui dans le trésor de Notre-Dame de Paris. Ce sont celles-ci qui ont été sauvées magistralement par les pompiers, rappelant la décision bénéfique du préfet de police de l’époque, Louis Lépine, qui avait créé le « salvage corps », service de protection en 1904 à Paris dont ce fut un service spécial. La Sainte-Chapelle possède aussi une flèche de 33 mètres portant l’édifice à près de 76 mètres. En 1871, lors des événements de la Commune de Paris, le sapeur Blin de la compagnie de Chartres a escaladé la flèche pour y décrocher un drapeau « séditieux ». Par analogie, le sergent Belle, moniteur de l’équipe spéciale de gymnastique de la BSPP, suspendu au bout d’une corde depuis l’hélicoptère du corps, eut la mission périlleuse d’aller décrocher le drapeau du Front national de libération du Sud Vietnam (Viet Cong), accroché sur la flèche de Notre-Dame le 18 janvier 1969.

Colossus, robot d’extinction

Pour l’incendie de Notre Dame a été utilisé un moyen d’extinction efficace, au sol, contrairement aux Canadair recommandés par les personnalités qui connaissent tout mais ne savent rien car il ne suffit pas d’entendre le mot forêt (la charpente) pour que l’on brode autour et pense à ce moyen…. Il s’agit du robot d’extinction (le REX), appelé « Colossus ». Pendant quatre heures, cette lance sur chenillettes, téléguidée au moyen d’une tablette tactile, a été engagée au plus près du brasier, à l’intérieur, protégeant personnels et nombre d’œuvres qui n’avaient pu être évacuées. Par ailleurs, doté de caméras, le robot a joué un rôle dans la reconnaissance au sol de la nef pour orienter les moyens. Il est également capable de transporter du matériel, d’évacuer des blessés et de donner de précieuses informations aux pompiers grâce à sa caméra thermique, sa vision jour-nuit et ses capteurs de gaz. Le tout avec une autonomie de 10 heures. Ce robot extincteur surpuissant lui permet de tirer jusqu’à 250 m de tuyaux à une vitesse de 3,5 km / h.

Ce matériel moderne est l’aboutissement des travaux des services techniques de la BSPP qui, en 1970, avaient inventé la lance auto-mouvante télécommandée (LAT), du commandant Many et, entre autres, du sergent Décès, dans le but de lutter contre les grands feux lorsque la chaleur rayonnée interdit l’approche avec les moyens de secours conventionnels. Présentée à la presse le 15 décembre 1971, la LAT, certes non chenillée, est capable de tirer deux lignes de 110 mm pour un auto-déplacement de 150 m et une portée de lance de 80 à 100 m. Le tout transportable sur un châssis spécifique (Siprel) Peugeot J7. La communion d’ingénieurs et d’ingénieux a amené au modèle à quatre roues, commercialisé plus tard sous le nom de Sparfeu.

La marche générale des opérations et ces doctrines « ancestrales », bien connues du général commandant la Brigade et bien appliquées avec les moyens humains et technologiques du moment, ont eu raison du feu de Notre-Dame, hors norme. Le Saint-Père salue «le courage et le travail des pompiers qui sont intervenus pour circonscrire l’incendie». Si « l’enfer est pour les héros » (titre d’un film de 1962 avec Steve McQueen), sur le chemin de cette « promesse » se trouve une déviation vers le paradis… Car c’est sur le parvis de Notre-Dame que se trouve le point de départ kilométrique (0) de toutes les routes qui partent de Paris.   

Texte lieutenant (rc) Patrice Havard, membre d’honneur de la commission fédérale
Histoire, Musées, Musiques ; ancien directeur du musée de la BSPP (1994-2005)

DU FEU SACRÉ AU SACRÉ FEU !
LAT 2 en service.
DU FEU SACRÉ AU SACRÉ FEU !
DU FEU SACRÉ AU SACRÉ FEU !
Construction de la lance automouvante télécommandée (LAT) aux services techniques de la BSPP.
DU FEU SACRÉ AU SACRÉ FEU !
1969 : le sergent Belle de la BSPP est hélitreuillé pour retirer le drapeau du Viet Cong de la flèche de Notre-Dame de Paris.

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