Le pont Morandi s’effondre
[Magazine] Sous la pluie ou le soleil, voire à la lumière des projecteurs, les « vigili del fuoco » (sapeurs-pompiers italiens) ont œuvré sans relâche du mardi 14 août au dimanche 19 août dernier, soit près de 100 heures, pour tenter d’arracher d’éventuels survivants au monstrueux effondrement du pont Morandi, à Gênes (Italie).
11 h 36, le 14 août 2018. C’est alors que s’abat un très violent orage sur la ville, ponctué d’impacts de foudre, que la haute silhouette du pont Morandi, perdue dans le brouillard, vacille. Ses tabliers se détachent sur 200 mètres, entraînant dans une chute vertigineuse de 45 m des dizaines de voitures et de poids lourds. Puis, les deux pylônes du pilier n° 3 s’abattent du haut de leurs 90 mètres… frôlant les constructions qu’ils dominaient. Le numéro de secours 115 est assailli dès 11 h 50 de très nombreux appels signalant que le pont Morandi est « tombé » ! Pour les secours, dépêchés en nombre, la problématique opérationnelle est de taille car la zone d’intervention couvre une bande de plus de 200 mètres de long sur une quarantaine de mètres de large, dans laquelle blocs de béton et véhicules sont étroitement mêlés. Sur cette aire de 8 000 m2 environ, dont l’essentiel est heureusement occupé par des voies ferrées et le lit d’un torrent, plusieurs « chantiers » aux caractéristiques spécifiques vont être définis :
• à l’ouest, un groupe de bâtiments industriels et quelques véhicules écrasés par un élément de tablier de 800 m2 d’un seul bloc. Le mode opératoire est proche de celui d’un séisme ;
• au centre, l’embase des pylônes, constituée de poteaux de plusieurs mètres de section enchevêtrés, instables. Rien de comparable à la ruine d’un édifice ;
• de part et d’autre du pylône, des voies ferrées à l’est et un torrent au débit faible à l’ouest, parsemés d’éléments de ponts, de véhicules et de poids lourds. Il faut par ailleurs reconnaître et sécuriser, avec l’aide de la police, les viaducs menant au pont, où se trouvent de nombreux véhicules avec leurs occupants choqués.
Des problématiques multiples
Très rapidement, les sapeurs-pompiers de la province de Ligurie vont être rejoints par des colonnes constituées des provinces environnantes. Les problématiques sont multiples : sauvetage-déblaiement, désincarcération, risque incendie (réservoirs des véhicules impliquant l’établissement de LDV), recherche en milieu subaquatique dans le lit du torrent dont l’obstruction partielle risque de faire monter localementle niveau, et évacuation de 643 habitants de l’ilôt d’habitations R + 5 implanté à l’est, en bordure de la zone d’effondrement. Ces bâtiments seront probablement détruits lors de la démolition du pont. Dans cette zone aux problématiques diverses, les « vigili del fuoco » vont éprouver une fois de plus leur technicité liée aux séismes. Outre les équipes de sauvetage-déblaiement et les équipes cynophiles, ils sont en mesure d’engager immédiatement leurs propres moyens lourds de levage (camions-grue dont nous ne disposons plus aujourd’hui), pelles mécaniques et tracto-pelles siglés « vigili del fuoco » et leur flotte d’hélicoptères, dont les DZ vont être établies sur les larges espaces du torrent et des voies ferrées.Plusieurs échelles pivotantes automatiques (EPA) sont approchées au plus près pour reconnaissances des parties supérieures et évacuation de victimes.
L’intervention frôle parfois l’alpinisme
Une quarantaine de véhicules dont plusieurs poids lourds sont rapidement localisés, et en début d’après-midi du 14 août, 11 décédés sont recensés et 7 blessés extraits des décombres. Le lendemain, après une nuit de recherches aux projecteurs, 15 blessés au total sont extraits. Le bilan bondit à 38 morts au soir du 15 août. Quatre cents sauveteurs se relayent maintenant jour et nuit sur le site. Les 16 et 17 août, les travaux de déblaiement des différents chantiers se poursuivent, le chantier central « pylônes » réclamant des moyens et des techniques exceptionnelles. Deux puissantes grues sont engagées pour retirer les éléments entravant la localisation de poches de survie. Si la dimension des piliers en offre plusieurs, l’impact énorme les a souvent emplis de gravats entremêlés de fers à béton qu’il faut découper pour progresser… évoluer sur ces éléments instables et abruptes frôle parfois l’alpinisme. Dans la nuit du 17 au 18 août, trois corps sont extraits d’un véhicule écrasé, tandis qu’un blessé grave décède de ses blessures à l’hôpital. Dimanche 19, le bilan définitif est de 43 morts et 16 blessés. Aucune victime au sol n'a été dénombrée (usines fermées à la veille du 15 août).
« Grazie ragazzi ! »
Inlassablement, une dizaine de pelles mécaniques et de brise-béton grignotent les énormes débris du géant terrassé par l’âge, la foudre — ou les deux — à moins que l’on y ajoute l’explosion du trafic de poids lourds de cet axe aux 25 millions de véhicules / an desservant le port de Gênes.Des grues de plusieurs dizaines de tonnes aux gants de travail qui grattent, des pelles mécaniques aux griffes des chiens, tous œuvreront sans relâche jusqu’à ce que le dernier abri possible soit inspecté. Dimanche 19, à la mi-journée, plus aucune personne n’est déclarée disparue.Toutefois, les travaux de sécurisation de l’ouvrage et de dégagement du lit de la rivière se poursuivent. Près du poste de commandement mobile des « vigili del fuoco », des riverains ont déplié une banderole : « Grazie ragazzi ! » (« Merci les gars ! »).
LT-Colonel (RC) René Dosne