Au CSP Chambéry, un esprit de montagnard
[Magazine] Préfecture de Savoie posée sur d’anciens marécages au sud du lac du Bourget, au pied des Alpes du nord, Chambéry est une ville en pleine expansion. Son bassin de vie a doublé de population en 50 ans. Construit en 1953, le centre de secours s’adapte en permanence à cette constante évolution démographique : extension du centre en 1981, projet de rénovation en cours et création de l’antenne Sud-Lac au nord de la ville. Cette extension a permis d’absorber un tiers de l’activité opérationnelle du CSP.
Parfaitement positionné en sortie de rocade, le CSP de Chambéry est un bâtiment ancien sur deux niveaux flanqué d’une tour d’habitation de neuf étages pour loger le personnel. à l’étroit dans les travées, certains engins sont remisés sur les parkings extérieurs.
Je suis accueilli au foyer pour le café du matin. Ici, beaucoup de monde, de la bonne humeur, les hommes des gardes sortantes et entrantes se retrouvent pour partager ce moment de convivialité. Certains changent leur tour de garde, cela semble facile. Solidarité et entre-aide sont de mise. Je m’y sens bien. à 8 heures, l’officier passe les consignes à la garde, les hommes partent vérifier l’armement des véhicules. Je retrouve le stationnaire pour recevoir mon bip. Le standard est une grande salle équipée de plusieurs postes de travail pouvant se transformer rapidement en salle de crise. 8 h 21, une première ambulance part relever un vieil homme dans sa salle de bains. Avec une vingtaine d’interventions en moyenne journalière, je choisis de rester au centre.
Après une rapide visite, le capitaine Jimmy Arnault, adjoint au chef de centre, m’explique l’organisation de la caserne et des équipes spécialisées. Elles sont toutes présentes à Chambéry: montagne, nautique, spéléo, SD, RCH, RAD, cynotechnique, animalier. Outre les tunnels routiers, la principale problématique reste le risque incendie dans le centre historique. épargnée par les bombardements de 1944, la vieille ville construite autour du XVIe siècle est constituée d’îlots imbriqués les uns dans les autres, séparés par d’étroites ruelles.
En janvier 2002, la propagation d’un incendie a fait 2 morts. Depuis, la municipalité a pris des mesures de prévention : cylindres à clés installés devant chaque entrée d’immeuble, plans de circulation entièrement revus, greniers nettoyés. Comme les véhicules d’incendie ne peuvent accéder partout, le Sdis vient de faire l’acquisition d’un BEA de 32 mètres avec un bras articulé. Ce matin, l’activité est encore calme. Avec Jimmy, je quitte le centre ancien pour retrouver la garde sur le terrain de foot des Barillettes.
Comme partout, le sport collectif présente quelques risques de blessures. Ici, la règle est simple. Au-delà d’un certain nombre d’arrêts de travail consécutifs à la pratique d’un sport, on change de sport. Sans esprit de compétition, les hommes s’amusent et se dépensent dans un fair-play affiché. Le bip me rappelle à l’ordre. Nous partons pour une rixe au Biollay, un quartier sensible mais plus calme ces dernières années. Après un « stand by » imposé par le Codis dans l’attente de la police, nous arrivons sur les lieux. La rue est bouclée par les militaires de Vigipirate en patrouille dans le secteur. Les deux protagonistes au visage tuméfié sont pris en charge. Rien de très grave, la présence des forces de l’ordre a fait redescendre la tension.
10 h 52, le bip sonne à nouveau, cette fois pour un feu d’origine électrique. à notre arrivée à la blanchisserie des hôpitaux de Savoie, tout le personnel, une cinquantaine d’employés, a déjà évacué le site. Accompagné du responsable sécurité, l’équipe de reconnaissance constate la rupture d’une gaine d’évacuation de vapeur chaude. Pas de feu mais l’entreprise est partiellement inondée. L’officier de garde, le lieutenant Eugénio Rampollini, fait couper l’alimentation générale électrique de l’usine, demande le renfort d’un VTU et renvoie le FPT. Le personnel est mis en chômage technique en attendant que la société de maintenance intervienne pour la remise en état de l’installation.
12 h 17, nouveau départ de feu, cette fois dans un appartement à Chambéry-le-Haut, l’autre quartier un peu sensible. FPT, EPAN, VSAV sont au départ. De la fumée sous la porte, des odeurs de cuisine, un détecteur de fumée assourdissant, pas de doute sur la localisation du sinistre. L’appartement est fermé, personne ne répond. Nous passons par l’appartement d’un voisin médusé pour accéder à la terrasse. Des cuisses de poulet carbonisées, oubliées dans le four, dégagent une fumée grasse. Rien de grave. La pièce est aérée, les véhicules repartent. En alternance, les ambulances continuent leur va-et-vient : homme allongé sur un trottoir, malaise d’un collégien, accident de sport.
15 h 44, l’équipe montagne part pour un homme victime d’un malaise à la sortie d’une via ferrata, commune les Déserts. Pour nous, pas le temps d’arriver sur les lieux, Dragon 74 est plus rapide. Nous partons alors sur un accident mais le véhicule est déjà reparti. Parfois les moyens semblent surdimensionnés mais
En chiffres
Superficie : 2 500 m² sur trois niveaux dont une remise de 1 000 m² à laquelle est collée une tour d’habitation de 34 logements.
Armement : 3 VSAV, 1 FPTGP, 1 FPTL, 1 CCRTU, 1 EPAN, 1 BEA, 1 CCF, 1 camion porte-berce, 1 cellule grande capacité 9000 l, 1 VSRS, 1 VTU, 1 VTUTU, 1 berce SD, 1 VIRT, 1 VPMA, 1 VPL, 1 VCYN, 1 VANIM, 2 MPT, 1 VLTT montagne, 1 VL chef de groupe.
Effectifs : 72 SPP et 82 SPV.
Potentiel opérationnel journalier : 17 SP de jour et 15 SP la nuit dont 13 SPP / jour minimum et 11 SPP / nuit minimum.
Régime de garde : garde postée 24 h ou 12 h jour ou nuit. Les personnels au VSAV en journée changent de piquet à 20h.
Equipes spécialisées : SDE, RCH, RAD, montagne, spéléo, plongée, cyno, animalier.
Nombre de sorties : 7 800 en moyenne pour le CSP et plus de 11 000 avec l’antenne Sud-Lac reparties en 70 % secours aux personnes, 4 % AVP, 6 % incendie, 11 % OD et 9 % risques naturels.
Population défendue : 31 communes défendues en premier appel pour environ 134 000 habitants.
Risques particuliers : centre-ville ancien, tunnels, aéroport, montagnes et lac.
l’intérêt de la victime passe toujours en priorité. à ce moment de la journée, l’activité devient plus intense, je dois faire des choix.
à 18 h 32, je décide donc de partir avec le CCF en renfort pour un feu d’herbes dans la commune des Planches. Un agriculteur a mis le feu à une parcelle de roseaux qui menace des lignes à haute tension. Plusieurs champs sont en feu. L’extinction est délicate, un troisième CCF est appelé en renfort. Accompagné par le chef de secteur, je reste bloqué sur place plus de deux heures. Pendant ce temps, les interventions s’enchaînent : accident de parapente dans la commune de Sonnaz, homme de 70 ans victime d’AVC dans son jardin, personnes alcoolisées, nouvelle chute d’un parapentiste à Vérel pris en charge par le groupe montagne et Dragon 74. Choisir, c’est renoncer. Aujourd’hui, je ne suis pas sûr d’avoir fait le bon choix. à 21 h, à la vue de l’activité en cours et des effectifs engagés, le chef de salle annule la manœuvre prévue dans le tunnel des monts.
21 h 12, je reprends du service suite au déclenchement d’une téléalarme. Une vieille dame de 94 ans ne répond plus aux appels. Un équipier tape à la porte, on mobilise les voisins, toujours rien. Dix minutes plus tard, la personne se présente tranquillement à sa fenêtre. Surprise, hagarde, elle ne semble pas bien comprendre la situation.
23 h 18, nouveau départ pour une détresse respiratoire chez le père d’un pompier volontaire. L’homme aux antécédents cardiaques est examiné, mis sous oxygène et rapidement transporté à l’hôpital. Réveil à 3 h 36 pour une femme alcoolisée ayant fait une chute de vélo. La femme accuse son compagnon de l’avoir frappée. Les personnes sont connues des sapeurs-pompiers et de la police. Sans notion d’urgence, je sens de la lassitude pour ce genre d’intervention sociale. La femme souhaite porter plainte ; elle est emmenée à l’hôpital pour des examens complémentaires. Nouveau réveil à 5 h 46 pour une ambulance finalement annulée. Il est parfois des nuits sans sommeil où les hommes n’ont pas l’impression d’avoir été si utiles.
à 7 h 34, l’ambulance repart pour un homme inconscient à la demande du Samu. Ma garde se termine, je demande au chef de centre la recette de cette atmosphère chaleureuse malgré des locaux anciens. « C’est un centre agréable à commander. Le savoyard est quelqu’un de courageux qui ne ménage pas ses efforts.
Nous sommes vigilants sur le travail d’équipe, le bien-être au travail et la qualité de la formation. Nous avons aussi maintenu un lien fort avec nos élus et les services partenaires. Pour finir, la présence de toutes les spécialités nous permet de maintenir un niveau de compétence élevé et partagé. » Ce sujet est inépuisable pour le volubile commandant Denis Stintzy.
Texte et photos Patrick Forget