Feu de copeaux de bois

Opérationnel - Le 17 mai 2018

[Magazine] Le 21 août 2017 à 3 heures, le Sdis d'Eure-et-Loir est engagé pour un feu de matière organique sur la commune de Gasville-Oisème, du bois de récupération broyé représentant un volume estimé à 50 000 m3. 400 sapeurs-pompiers se relaient durant trois semaines avant de passer la main à l'exploitant, la société Paprec, jusque fin novembre. Une intervention semée d'embuches, qui fait école.

Feu de copeaux de bois
Feu de copeaux de bois
feu de copeaux de bois

La première grande difficulté de cette intervention est l'accès à la partie incendiée qui se situe à l'arrière du tas de copeaux dont les bords comblent les deux côtés de l'aire de stockage. La voie d'accès la plus simple est un champ mitoyen mais le propriétaire refuse de coopérer. L'accord est donné par celui de l'autre parcelle, mais il faut déboiser une partie du terrain et aménager une voie d'accès pour les engins. L'opération est réalisée en six heures avec une entreprise de travaux publics. Au même moment, 130 bennes entreposées à côté du tas ainsi que le stock de bois non broyé et la partie broyée non atteinte par l'incendie commencent à être déplacés.Cela nécessitera un convoi exceptionnel et une escorte de gendarmerie pour acheminer un engin avec un bras de plus de 20 mètres, non disponible sur le site. Un soutien sanitaire est immédiatement engagé pour la sécurité des personnels, ainsi que des mesures pour lever le doute sur la toxicité des fumées. Heureusement, le vent est favorable et celles-ci se dirigent vers la campagne et non vers l'autoroute ou une clinique cardiologique, toutes proches. Seconde et constante problématique de l'intervention : l'alimentation en eau. « La première manœuvre est de mettre en place deux lances Partner 1 000 l/min au sol et une lance 1 000 l/min sur une EPA 30 qui puisent dans la réserve incendie de 450 m3 du site, alimentée en eau par une noria de quatre CCGC 10 000 litres du Sdis, une action  menée par intermittence pour contenir le sinistre, sans l’éteindre. La logistique sur cette intervention restera très importante et sollicitante en engagement de personnel », précise le colonel Vincent Allard, directeur départemental adjoint et Cos dès le début de l'incendie. Un de ses objectifs permanents est de contenir les fumées pour éviter une diffusion importante vers l’autoroute ou la clinique. Un problème de rétention émerge en parallèle et sera lui aussi constant. Un des champs mitoyens commence à être inondé. Un puits de rétention est creusé au niveau de la zone boisée et un pompage y est installé pour orienter les écoulements dans la rétention du site. Les 1 000 m3 de cette cuvette sont vite saturés. Six semi-remorques vont donc réaliser une navette pour vidanger l'eau polluée et la transporter dans une ancienne station d'épuration de l'agglomération. Trois bâches souples sont installées pour augmenter la capacité de rétention de 1 050 m3 supplémentaires. Mauvaise surprise : « Le tas s'embrase superficiellement suite à un coup de vent avec des rafales de 40 km/h, non prévues.

Mesure de toxicité et de température

Mise en place d'un réseau de mesure afin de qualifier et quantifier les gaz émis par les fumées dégagées, et suivre les températures :
1. Mise en œuvre de la Cmic reco du Sdis 28 ;
2. Demande de renfort du VDIP (UIISC n°1 Nogent-le-Rotrou) ;
3. Demande de renfort de la Casu.
- Pour laboratoire mobile de mesure (unité de l’Ineris).
- Pour simulation de dispersement de panache/météo.
Les résultats des analyses de prélèvements par les personnels du VDIP sont obtenus au bout de 4 heures (en fin de journée). À une distance de 1 à 2 mètres du tas, les gaz suivants sont détectés : Cyanure (5 à 7 ppm), Phénol (1 à 2 ppm), traces de Benzène. À 100 mètres du sinistre, aucun relevé significatif, présence d’une pollution visuelle (fumées) et olfactive (odeur de bois brûlé) qui a généré des réactions sur les réseaux sociaux. Les prélèvements Ineris ont été envoyés en laboratoire. Suite aux mesures de toxicité effectuées par le VDIP et les personnels Ineris, sur conseil de la Dreal, le Dos demande à l’industriel de mettre en place un réseau de mesure de la qualité de l’air en continu, sur et autour du site. Le bureau Veritas met en place des stations de mesure le 24 août.

Sur toute la durée du sinistre, les équipes du Sdis ont procédé à des relevés de températures afin de suivre l’évolution du foyer.

Ces relevés ont été réalisés jour et nuit, en surface du tas et en profondeur « à 1 m ». Au plus près du foyer, des relevés ont été supérieurs à 300°C. L’intensité du foyer « en son cœur » a été suffisante pour chauffer à blanc et transpercer des caissons métalliques partiellement recouverts par les copeaux.

Des flammes apparaissent au sommet, le feu se propage en surface et progresse sur les flancs en intensifiant le dégagement de fumée », explique le commandant Frédéric Alexandre, chef de site. Une attaque massive est mise en œuvre en urgence à partir de deux lances 1 000 l/min, sur deux échelles, dispositif complémentaire au premier mis en place. La totalité du reste du tas de copeaux est impactée par le sinistre. Conséquence de cette attaque : la rupture d’alimentation en eau du réseau communal. La réserve incendie du site est vide, le château d’eau de Gasville-Oisème se met en sécurité et la commune est privée d’eau pendant 5 heures. Celle-ci est déclarée non potable pendant cinq jours. « Chartres Métropole eau a mis en service une nouvelle ligne de production d'eau pour alimenter le réseau de PI. Un bassin déversoir d’orage de 20 000 m3 à 7 km du site. Le bassin déversoir d’orage de l’autoroute A10 (3 000 m3) situé à 200 mètres du site est utilisé comme réserve “tampon” », poursuit le Cos. Les besoins en eau sont estimés, en hypothèse haute, entre 5 000 et 9 000 l/min. Des moyens de pompage grande puissance sont demandés en renfort et installés près du bassin Cofiroute afin de remplacer les MPR durement éprouvées. Afin de garantir une alimentation en eau suffisante pour fournir le débit d’eau maximal nécessaire (8 000 l/min) en cas d'attaque massive du sinistre, le Cos ordonne la mise en œuvre d’une ligne d’alimentation grande longueur en complément de la noria des CCGC. Après accord du concessionnaire Chartres Métropole Eau, la ligne sera établie entre le PI de la zone artisanale des Propylées (Chartres) et le bassin d'orage de Cofiroute, soit 5 km de tuyaux Ø110, via la RD32 et le CR156. Deux pompes devront être positionnées en relais sur l’établissement. Le refroidissement des copeaux humides et chauds est assuré en créant une zone « tampon » de refroidissement avec une surface et une hauteur de tas réduites . Les services de Chartres Aménagement trouvent un terrain inoccupé de quatre hectares à 3 km du site.

Moyens engagés

- Extinction : FPT, FPTMO, CCMC, CCF.
- élévation : deux échelles aériennes (EPA 32 m).
- Alimentation en eau (4 cellules dévidoir) : près de 8 km de tuyaux de Ø110 mm et 1km de tuyaux de Ø70 mm établis.
- Pompage : 13 motopompes remorquables.
- Transport d’eau : 4 CCMC de 10 000 litres.
- Moyens de commandement : mise en place de 2 VPC formant un PC de site.
- Une unité mobile d’intervention contre les risques chimiques (CMIC) pour la surveillance de la toxicité des fumées et le contrôle des températures.
- Des caméras thermiques pour suivre l’évolution du foyer et des températures.
- Un dispositif de soutien sanitaire en opération avec 1 infirmier.
- Une embarcation pour mise en place des moyens de pompage dans le bassin d’orage.
- Une cellule sauvetage-déblaiement pour concevoir et mettre en place quatre déversoirs dans le bassin d’orage.
- Moyens logistiques de maintenance des engins et matériels engagés.
- Moyens d’alimentation en carburant.
- Des soutiens ont été nécessaires au cours de la première semaine en provenance des Sdis 78, 91, 27, 61, 45, 41 et 44, mobilisant à eux seuls 20 SP/jour ; 1 véhicule bras élévateur de 45 mètres (BEA) ; 10 camions-citernes de grande capacité (CCGC) ; 1 cellule de pompage grand débit (CePGP).
- Le Sdis 28 a engagé, sur les 3 semaines de l’intervention, plus de 350 sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, venant de tous les centres d’intervention et de secours du département. La première semaine, 60 sapeurs-pompiers étaient engagés quotidiennement, puis les effectifs sont descendus à 18 SP/jour la seconde semaine, pour passer à 7 SP/jour la dernière semaine.
Coût financier Sdis : 115 000 euros en indemnités horaires SPV + frais de carburants/maintenance.

Une géo-membrane y est posée pour créer une étanchéité ainsi qu'un lit de graviers destiné à recevoir les copeaux. Un bassin de récupération des eaux de ruissellement est creusé en partie basse du terrain légèrement en pente. Les opérations de grattage et d’étalement sont permanentes sur le site. Un réseau de pompage et d’extinction en circuit fermé est mis en œuvre grâce à deux motopompes, en recyclant les eaux des bassins de rétention. La noria des camions- citernes se fait désormais en sens inverse. Le feu est maintenant sous contrôle et mouillé continuellement. Le grattage du tas se poursuit et les copeaux de bois brûlés sont évacués vers des centres de traitement de déchets. Compte tenu de l’évolution favorable du sinistre, le Dos décide de transférer progressivement sa gestion à Paprec ; la liste des objectifs à atteindre par l'entreprise dans le cadre de ce transfert est fixée par arrêté préfectoral. Ce transfert se fera en coordination avec les différents acteurs (Paprec, Sdis 28, Dreal…) et de façon lissée dans le temps. Les quatre lances canon à balayage automatique mises en place par le Sdis aux quatre coins du tas sont laissées à disposition. Le 7 septembre, le cœur du foyer est enfin atteint grâce à la poursuite des opérations de grattage. Chaque jour, environ 700 tonnes sont évacuées du site. Le tas est arasé et fait 8 mètres de hauteur avec un toit aplani. Le 11 septembre, le Sdis considère que l’incendie est maîtrisé, la gestion du sinistre est placée sous la responsabilité de l'entreprise, jusque fin novembre. « Aucun incendie de copeaux de bois dans cette configuration n'a atteint cette dimension en France, conclut le chef de site. Le Retex du sinistre de Gasville-Oisème a été utile dans l'Yonne deux mois plus tard pour un sinistre similaire. »

Texte Manuel Sadaune
Photos SDIS 28 / Cdt Frédéric Alexandre - DR  François Poichotte

Intervention de la Masc

La mission d’appui en situation de crise (Masc) dépêchée par le ministère de l’Intérieur est intervenue du 22 au 24 août pour une première expertise, un soutien au Dos et au Cos, et pour définir une stratégie opérationnelle ; du 27 au 28 août pour un conseil technique à l'ouverture et à l'attaque du tas de copeaux. Entre les deux périodes de la Masc, des échanges téléphoniques réguliers ont eu lieu entre le Cos et l’expert sur l’évolution de la situation pour apporter des éléments techniques afin d’affiner la stratégie.

Cette intervention a présenté plusieurs intérêts :

- Connaissance des risques et Retex, associés à la typologie des sinistres (vis-à-vis de la toxicité des fumées, du risque d’explosion, etc.) ;
- Réseau de contacts compétents (dont hautes instances) ;
- Rapidité et anticipation de la remontée d’informations vers le Cogic via le Coz ;
- Connaissance des services « à impliquer » et des partenaires ;
- Casu, Ineris, etc.
- Connaissance des moyens et capacités des renforts non SP susceptibles d’être mobilisés ;
- « Rassurant » pour le Dos.

Feu de copeaux de bois
Feu de copeaux de bois

Éléments défavorables

Les opérations de secours ont été, directement ou indirectement, ralenties du fait :
- du dimensionnement exceptionnel du tas concerné par le sinistre ;
- de l’absence d’accès au tas de copeaux ;
- des moyens de secours et défense contre l’incendie inadaptés à la taille du stockage ;
- de l’autoroute A11 et de la clinique cardiologique qui ont très fortement conditionné la stratégie opérationnelle ;
- de la gestion des relèves de personnels SP avec une disponibilité moindre en période estivale de congés.

Éléments favorables

- Les opérations de secours ont été, directement ou indirectement, facilitées du fait des conditions météorologiques globalement favorables, du panache de fumées toujours bien orienté sur zones non habitées, du sinistre suffisamment éloigné de l’agglomération chartraine, des dimensions et de la gestion interservices du sinistre, avec implication permanente de l’exploitant. Pas de risques de propagation.
- Mise en place et diffusion de consignes de sécurité sur site : port de l’ARI ou de lunettes et masques filtrants, mise à disposition de bottes caoutchouc coquées.
- Engagement du soutien sanitaire opérationnel (SSO) : mobilisation et implication du service de santé et secours médical, sécurité de TOUS les intervenants (SP + privés + …), contrôles des taux de CO, soutien énergétique.
- La gestion interservices s’est mise en place dès les premières heures de l’intervention, avec une réunion « PCO » tous les matins et tous les soirs. Elle est progressivement montée en puissance : directeur de cabinet + Dreal + gendarmerie + Sdis … + Masc (F. Poichotte) + Paprec (exploitant), puis : … + mairede Gasville, SIDPC, DDT, ARS. Apports positifs de la cohésion interservices : tous les services entendent, partagent et valident les décisions ensemble, y compris l’exploitant. Communiqués de presse concertés, PCO sur site au plus près du sinistre (et Cod activé en journée les 22 et 23 août).
- Forte mobilisation des 80 centres du département ainsi que des Pats pour l'organisation des relèves. Expérience très fédératrice.

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