La victime est toujours vivante
[Magazine] Avec 16 ans de carrière dont 7 années de secours en montagne, Lionel Bisval, sapeur-pompier à Chambéry, ne s’attendait pas à vivre une telle mission en partant pour un accident de train avec piéton…
Ce lundi 14 août, j’étais depuis 8 h à la garde, il y avait beaucoup d’ambulances dehors en cette veille de jour férié. À 15 h, mon bippeur retentit et je lis : « Piéton sous train ». À ce moment- là, je me dis que cela ne va pas être facile. Soit c’est un suicide, soit c’est un accident mais dans les deux cas cela ne va pas être propre.
Pas le temps d’imaginer le pire, la mission d’abord, donc je fonce au standard récupérer le ticket de départ en tant que chef de véhicule. Et nous partons avec un équipage de trois. À ce stade-là, nous n’en savons pas plus sur les moyens déployés et pensons arriver les premiers sur l’accident. En déboulant dans la gare de Chambéry, le personnel SNCF nous prend immédiatement en charge pour nous guider rapidement sur les lieux de l’accident. Ils nous révèlent l’inimaginable. « La personne est passée sous un train et elle est vivante ! ». Nous n’en revenons pas. Mais pas le temps de traîner, il faut encore plus se presser et se concentrer.
Il fait chaud, le quai de la gare est bondé, nous sommes la veille du 15 août en plein milieu de l’après-midi. Les équipes SNCF ont coupé la circulation et évacué les trains. Il y a du monde partout, nous passons sous la passerelle sur les voies pour rejoindre un quai central. C’est là que nous voyons les hommes en blanc du Samu, arrivés quelques minutes avant nous. Ils sont déjà auprès de la victime.
Un pompier en civil et présent sur le quai de la gare ce jour-là s’est occupé le premier de prendre en charge la victime. Il lui a parlé et l'a rassurée. Quand on arrive, on voit cette jeune femme entre le quai et les rails sur les traverses avec pas mal de sang sur son t-shirt. Elle est vivante, semi-assise. Ses deux bras sont coupés. Une personne de chaque équipe médicale est sur un bras pour arrêter l’hémorragie en posant un garrot. La victime est assez calme et incroyablement lucide.
« C’est con, j’ai voulu rattraper le train alors j’ai couru et maintenant j’ai perdu mes deux bras. »
Une fois le saignement stoppé, nous emballons le reste de ses membres dans un environnement stérile pour les mettre à l’abri d’une infection. En même temps, nous la gardons consciente en lui parlant. Nous lui expliquons ce que nous faisons et nous tentons de la rassurer. Elle dit qu’elle va perdre ses bras et réalise qu’elle va avoir des prothèses.
Je la trouve si courageuse. Elle doit avoir mal mais ne nous ne le dit pas plus que ça. Mais à l’injection du produit en intraosseuse dans le tibia, elle hurle de douleur. On lui dit que ça va vite passer et que le produit va vite agir. C’est après la pose de la perfusion que nous pouvons maintenant nous occuper des bras sectionnés.
Nous les prenons donc en charge mais sans grand espoir étant donné les zones d’écrasement dues aux roues du train et leur saleté. Mais nous suivons le process. En un quart d’heure, les bras sont chacun dans un sac poubelle rempli de glace collectée par le personnel super efficace de la SNCF dans les bars environnants. Une deuxième équipe du Samu est arrivée avec ce qu’il faut pour les transporter, un bras par glacière.
C’est un formidable travail d’équipe où chacun a donné de sa personne. Une fois stabilisée, nous plaçons la victime, par précaution, dans un matelas coquille et on retraverse les voies pour l’évacuer. Impossible de faire poser un hélicoptère, c’est donc l’ambulance de Montmélian qui l’emmènera au CHU de Grenoble avec une escorte policière. Une demi-heure intensive après notre arrivée, c’est un énorme soulagement de la voir partir. La pression retombe. On se refait le film. Quand on voit la hauteur de coupure, juste au-dessus du coude et pas loin de la tête, c’est une miraculée.
« Même avec 15 ans d’expérience nous restons tous les trois soufflés d’une issue aussi favorable. »
Malgré tout, heureusement qu’un petit jeune n’était pas avec nous ce jour-là. Nous y ferons désormais encore plus attention. Nous n'avons la plupart du temps aucune nouvelle des gens que l’on amène à droite à gauche, ce qui est le plus frustrant dans ce métier. Ce n’est que 15 jours après l’accident que nous apprenons par un communiqué de l’hôpital qu’ils ont réussi à lui réimplanter ses deux bras.
C’est une grande émotion et une immense surprise vu l’état de ses bras. C’est de la joie, à ce moment-là, de savoir que notre boulot n’a pas servi à rien et qu’au contraire les gestes réalisés ont aidé. Le médecin a même déclaré que « la rapidité de l’intervention et la dextérité de l’équipe médicale ont permis le succès de la réimplantation.
Entre la prise en charge et la table d’opération, il s’est écoulé moins de deux heures, une très bonne performance qui a conditionné tout le reste de l’intervention chirurgicale ». Je me sens fier même si secourir est mon but au quotidien. Je serais curieux de revoir cette jeune femme pour savoir où elle en est et comment cette réimplantation a été possible.
Cela restera une des interventions les plus marquantes pour tous. À la fois une issue heureuse, une prouesse médicale et un boulot fait en commun !
Texte Julie Niel-Villemin
Illustration Le Goff et gabarra
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