Gestion des appels d’urgence - 112
Après avoir expérimenté à l’hiver 2013-2014 le regroupement des plateformes 17 et 18/112 sous l’égide de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), le ministère de l’Intérieur a engagé début 2015 une réflexion sur la mutualisation des plateformes d’appels sur le territoire national. La Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) a, de longue date, marqué son engagement en faveur de la création de plateformes communes de gestion des appels d’urgence. Les sapeurs-pompiers disposant d’une longue expérience et d’une réelle légitimité dans ce domaine, la FNSPF a souhaité structurer sa position et ainsi pouvoir apporter leur expertise et contribuer à cette réflexion nationale.
[Page éditée en septembre 2015]
Après un rapide état des lieux, la présente contribution pose les enjeux et établit des propositions sur le champ d’application de telles plateformes, leur dimensionnement, l’échelon pertinent de leur organisation et leurs modalités de fonctionnement.
Pour un numéro d’urgence unique : le 112 - Efficacité et gain de temps en perspective
[Communiqué de presse - 6 février 2018 ]
A l’occasion de la « Journée européenne du 112 » organisée le 11 février prochain par l’European Emergency Number Association (EENA), la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) soutient la mise en place d’un numéro d’appel d’urgence unique : le 112, à l’image de nombreux autres pays européens.
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Constat : Multiplicité de numéros
L’objectif de mutualiser les plateformes d’appel nécessite de poser un constat précis de la situation actuelle afin de mesurer les besoins, points de vigilance et synergies à marquer.
Le premier constat posé est l’existence en France d’une multiplicité de numéros d’urgence à deux, trois, six voire dix chiffres :
- 15 SAMU
- 17 Police et gendarmerie
- 18 Pompiers
- 112 Numéro d’appel unique européen
- 114 Sourds et malentendants
- 115 Urgence sociale
- 119 Enfance maltraitée
- 116 000 Enfants disparus
- 191 Sauvetage aéronautique
- 196 Sauvetage maritime
… ainsi que les numéros à 10 chiffres subsistant en montagne quatre ans après la circulaire ministérielle du 6 juin 2011 demandant leur suppression au bénéfice du 112 !
Cette multiplicité de numéros d’appel désoriente la population qui ne peut les connaître tous et ne les utilise donc pas à bon escient.
Elle est, par ailleurs, en contradiction avec l’objectif de simplification de l’action publique et doit être mise en perspective avec la mise en place du 112, sur décision du Conseil des Communautés européennes, le 29 juillet 1991 pour une disponibilité partout dès 2000… 15 ans après cette mise en place, la France reste donc loin derrière d’autres pays européens qui ont mis en place le 112 comme numéro d’urgence véritablement unique (Espagne, Portugal, Luxembourg, Pays-Bas, pays baltes, Danemark, Suède, Finlande…).
Pour autant, la population semble connaître ce numéro puisque 44 % des appels reçus par les centres de traitement de l’alerte/centres opérationnels départementaux d’incendie et de secours (CTA-CODIS) en 2014 étaient issus de la composition du 112 par les appelants. Cet important pourcentage s’explique notamment par la sollicitation des secours de la part de touristes étrangers européens présents sur le territoire qui connaissent ce numéro unique européen. Le 112, est, de plus, aujourd’hui le premier numéro composé par les téléphones portables.
En outre, la désorientation de la population face aux différents numéros d’urgence et la méconnaissance de leur utilisation se reflètent dans l’activité des CTA : ainsi, en 2013, 12 % des 24,2 millions d’appels reçus avaient d’abord été réacheminés par des structures tierces (dont 7 % depuis le SAMU, ce qui démontre que les activités des Sdis et des SAMU sont aujourd’hui disjointes pour l’essentiel).
Réciproquement, 5 % des appels reçus en direct ont été réacheminés vers d’autres services (dont 4 % vers le SAMU, 0,3 % vers la police et 0,3 % vers la gendarmerie). Ces statistiques sont, de plus, à mettre en parallèle des 40 % d’appels reçus qui étaient injustifiés.
Si les statistiques précises de l’activité des centres de réception et de régulation des appels au 15 (CRRA 15) ne sont pas connues, le rapport IGA-IGAS publié en juin 2014 établit qu’en 2012, les CCRA 15 ont reçu 21 millions d’appels, avec une forte augmentation de l’ordre de 28 % par rapport à 2008, pour une augmentation démographique de seulement 2 %4. Cependant, les interventions terrestres primaires des SMUR5 n’ont représenté en 2012 que 576 109 sorties6, soit 2,7% de ces appels. Sans méconnaître les autres causes de cette évolution (raréfaction de la ressource médicale disponible, communication en faveur des appels au 15, développement d’un réflexe consumériste…), il semble raisonnable de penser que cette forte augmentation de la sollicitation est également imputable à une utilisation à mauvais escient de ce numéro, par méconnaissance.
Une multiplicité de centres d’appels à différents échelons et de différentes tailles
La multiplicité des numéros d’appel se reflète également dans le nombre et l’éparpillement des centres chargés de leur réception et de leur traitement.
Ainsi, pour le 18, il existe le plus souvent7 un CTA dans chaque département. En effet, la « départementalisation » de la gestion des services d’incendie et de secours a opéré une dissociation entre le niveau de traitement de l’alerte (CTA-CODIS), désormais généralement départemental, et le niveau communal (ou intercommunal) de gestion de l’activité opérationnelle (centres d’incendie et de secours). Si la création des CTA-CODIS a été un réel progrès dans le traitement des appels, l’échelon départemental montre des limites. En effet, le maintien d’un CTA dans chaque département n’apparaît rationnel ni sur le plan opérationnel, ni sur le plan économique.
Dans un rapport de 20139, la Cour des comptes considérait ainsi que : sur le plan économique : « la permanence du traitement de l’alerte consomme une part non négligeable des moyens humains des Sdis. Pour ceux de taille moyenne ou faible, le coût de cette permanence paraît disproportionné avec le niveau d’activité. Dans les Sdis les plus petits (5ème catégorie), les effectifs affectés en centre de traitement de l’alerte et de conduite des opérations (CTA-CODIS) représentent plus de 16 % des effectifs de sapeurs-pompiers professionnels (SPP) du Sdis et la permanence de la gestion de l’alerte et des opérations mobilise chaque jour, de manière continue, plus de 30 % des effectifs de sapeurs-pompiers professionnels de garde. Pourtant ces Sdis ne réalisent qu’un nombre limité d’interventions journalières, inférieur à 25.10» sur le plan opérationnel : « Il existe désormais des systèmes d’échange d’informations, de cartographie ou de suivi des moyens qui permettent de mettre en commun des CTA-CODIS entre Sdis voisins. Ces regroupements, qui pourraient être réalisés sans modifier les conditions d’engagement des moyens, qui resteraient de la responsabilité du directeur du Sdis et du préfet territorialement compétents, permettraient des économies de personnel, d’équipements et de locaux. L’existence de problématiques géographiques communes (pour un massif, une frange littorale ou un bassin fluvial), qui peuvent nécessiter une coordination des secours, justifie d’autant plus ces rapprochements.»
Les CTA ont, par ailleurs été créés sans coordination et ne sont donc pas ou peu interopérables. Limite supplémentaire à leur action, leur niveau départemental ne permet pas un dialogue fluide et équilibré avec les CRRA 15 qui se régionalisent, sous l’impulsion du ministère de la Santé. En outre, il existe 19 centres communs 15/18 dont 5 virtuels, et 9 autres sont en projet. Le 112 est quant à lui reçu par les services d’incendie et de secours dans 62 départements, par une plateforme commune dans 19 départements et par le SAMU dans 15 départements.
Cette diversité de traitement est de nature à désorienter encore plus le requérant qui n’obtient pas le même service selon le lieu de son appel. Les 17 sont, quant à eux, actuellement reçus selon la localisation de l’appel, soit vers un centre de réception de la gendarmerie (zones rurales) soit vers un centre de la police nationale (zones urbaines) en fonction de leur secteur de compétence respectif. Si la gendarmerie réceptionne les appels auprès de centres départementaux (Centre d’Opérations et de Renseignement de la Gendarmerie - CORG ou COG), la police ne reçoit les appels auprès d’une structure départementale que dans 47 départements (bientôt 48) disposant de Centres d’Information et de Commandement (CIC). Pour les autres départements, les 17 - police sont reçus directement par le(s) commissariat(s) siège de la circonscription de police. Pour Paris et la Seine Saint-Denis, les appels seront prochainement reçus sur une plateforme mutualisée unique de réception des appels 17/18/112 avec un maintien des structures existantes pour le commandement et la gestion des événements.
Chaque entité dispose d’une solution de gestion des appels d’urgence (système comparable au système de gestion opérationnelle – SGO – des Sdis) à savoir BDSP (Base de Données de Sécurité Publique) pour la gendarmerie et PEGASE (Pilotage des Événements et de gestion d’Activités et de Sécurisation des Équipages) pour les salles CIC de la police nationale. Historiquement conçus pour chaque service, l’évolution prochaine de ces systèmes intègre l’ouverture à l’interopérabilité et aux capacités d’échanges, à travers notamment une participation aux travaux du groupe de travail relatif aux logiciels de sécurité civile (GT 399).
Des réflexions engagées pour opérer des rapprochements
Le ministère de la Santé, après avoir engagé la création d’Agences régionales de santé (ARS) en 200912 afin d’assurer un pilotage unifié de la santé en région, initie désormais la régionalisation des CRRA 15.
Parallèlement, mais de façon plus récente, le ministère de l’Intérieur travaille au rapprochement des centres d’appels des numéros relevant de son autorité : 17 (police et gendarmerie) et 18/112 (services d’incendie et de secours). Dans ce cadre, la Préfecture de police de Paris a déjà expérimenté, avec succès, la fusion des centres 17 et 18/112 de la plaque parisienne.
La réflexion engagée concerne un rapprochement tant du point de vue réglementaire, que fonctionnel ou organisationnel, ainsi que pour l’organisation du commandement de ces futures plateformes communes.
Elle peut très utilement, pour cela, s’appuyer sur l’expérience et l’expertise des services d’incendie et de secours dans le traitement des appels urgents et leur orientation.
En effet, en moyenne, chaque opérateur dans les services d’incendie et de secours traite 110 appels par jour, variant de 80 appels/jours dans 36 départements à 326 appels/jours à la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP).
En moyenne, le traitement de l’alerte est effectué en 2 minutes et 7 secondes (décroché puis écoute et analyse débouchant sur une décision et un ordre de mission). Si ces réorganisations et rapprochements semblent aller dans le sens d’une rationalisation de l’organisation et des ressources, le chemin est encore long et la France semble à l’extrême opposé de l’Australie qui ne compte que deux centres d’appels pour tout son territoire… À cet égard, le rapport IGA-IGAS précité indique (p.85) que « la mission n’a pas abordé la possibilité d’organiser une réponse commune banalisée regroupant les divers numéros d’appel ni la question des numéros d’appel européens 112 (…). Elle note seulement que la fonction de réception des appels gagnerait à s’inspirer des méthodes et standards utilisés par les centres d’appels. »
Enjeux globaux
Opportune dans son principe, la rationalisation tant des numéros d’appel que des centres chargés de leur réception et traitement doit, pour réussir, répondre à trois séries d’enjeux, qui sont autant de points de vigilance dans les rapprochements à entreprendre.
Enjeux globaux
Premier enjeu évident, il s’agit d’améliorer, encore et toujours, le rapport coût/efficacité du service rendu à la population. Si, comme nous l’avons vu, le traitement de l’alerte reçue par les services d’incendie et de secours est effectué en moyenne en 2 minutes et 7 secondes, ce délai est parfois très largement dépassé par d’autres plateformes qui n’ont pas pour vocation de traiter l’urgence vitale, ne serait-ce que dans le temps du décroché, au détriment des appelants qui attendent une réponse rapide.
Les plateformes communes et l’utilisation d’un numéro unique doivent permettre une réactivité forte et une réponse rapide. Cela sera rendu possible par le développement des relations et la création de synergies entre les différents services concernés par le traitement des appels et la gestion opérationnelle. Ces liens devront, en outre, se faire dans le strict respect des missions des différents acteurs, qu’ils relèvent de la sécurité publique, de la protection et de la sécurité civiles, ou des soins urgents. Favoriser les rapprochements des centres d’appels permettra également une réelle adaptation à la contrainte financière durable qui pèse sur tous les services, en rationalisant l’emploi des ressources budgétaires, par la mutualisation de moyens et les économies d’échelles induites. Cependant, ces rapprochements devront être effectués de manière à préserver sur le plan opérationnel la gestion des secours en proximité. À cet égard, la proximité du niveau départemental permet d’assurer tant la rapidité d’intervention que de préserver la ressource humaine, composée à 80% de sapeurs-pompiers volontaires en maximisant leur disponibilité opérationnelle vis-à-vis de leurs familles et de leurs employeurs.
Enjeux organisationels
Deuxième série d’enjeux, l’organisation des plateformes communes doit permettre d’assurer un continuum entre la gestion quotidienne et la gestion des crises : les acteurs de l’urgence du quotidien ont, en effet, toute l’expérience et la structuration opérationnelle pour assurer la gestion des crises et sont capables de monter en puissance en fonction de l’ampleur de celles-ci. À cet égard, le prochain transfert du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) dans les locaux « centraux » du ministère de l’Intérieur, place Beauvau, doit être l’opportunité et l’occasion d’unifier et d’activer le centre de gestion de crises du ministère 24 h/24. Cela permettra de fiabiliser la cellule interministérielle de crise (CIC) et de permettre une montée en puissance à chaque instant sans délai de latence. En complément, il sera nécessaire de renforcer la gestion interministérielle de l’urgence et des crises (Intérieur ; Santé ; Écologie, Développement durable et Énergie ; Transports ; Industrie ; Affaires étrangères).
Enfin, une continuité territoriale doit être assurée entre les zones urbaines et les zones rurales afin de garantir l’indispensable équité dans la distribution des secours et la réponse aux sollicitations de la population. En complément, la mutualisation des ressources, permettra de lisser les doublons tant dans les ressources matérielles que dans les ressources humaines. Ce sera, dès lors, l’opportunité de rééquilibrer le temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels vers des activités plus opérationnelles, permettant, par ricochet de favoriser la sollicitation des volontaires sous forme d’astreinte plutôt qu’en garde postée.
Enjeux techniques / technologiques
La réorganisation des plateformes d’appels doit enfin permettre de répondre aux enjeux liés aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, à l’origine notamment d’une multiplication des sources d’appels. Si les alertes ont longtemps transité par le seul réseau de téléphonie fixe, la population utilise aujourd’hui diverses applications smartphones, des systèmes d’appels automatisés (dispositifs de téléalarmes pour les personnes âgées dépendantes, notamment) ou encore conduisent des véhicules dotés du système e-call qui alertent les secours en cas d’accident.
Nouvelles technologies et nouveaux standards accroissent alors les données qu’il est possible de collecter en complément des éléments fournis par les requérants… encore faut-il que les terminaux de réceptions soient adaptés et les personnels formés à l’analyse de ces échanges d’informations. La création d’un socle commun respectueux des différentes logiques métiers permettra alors d’unifier le traitement de l’alerte, quelle qu’en soit la provenance, et de partager les données utiles à tout ou partie des acteurs concernés, selon leurs missions et besoins d’information (géolocalisation, identification, source de l’appel, éventuelles données médicales…).
Par ailleurs, les opérateurs des différents centres d’appels doivent tous gérer des appels de secours exprimés dans d’autres langues que le français, notamment au cours des périodes estivales. Cette gestion multilingue engendre un certain coût qu’une mutualisation permettra de rationaliser au mieux, tout en permettant une meilleure réponse aux requérants non-francophones.
Position et propositions des sapeurs-pompiers de France
La FNSPF s’inscrit de façon volontariste dans la démarche de regroupement impulsée par le ministère de l’Intérieur, et souhaite pouvoir lui donner toute son ambition, son exemplarité et sa vocation, en incluant un rapprochement avec les acteurs de la Santé afin de créer de véritables plateformes communes dédiées aux situations d’urgence. Cette évolution semble nécessaire au plus tôt afin de permettre une réponse cohérente tant en termes d’organisation, qu’en termes financiers globaux.
Vers un numéro d’urgence unique 112
La FNSPF estime que la multiplication des numéros d’urgence en France est source de confusion pour le public et est contreproductive dans l’efficacité du traitement des demandes de secours. Elle considère donc que le 112 doit devenir l’unique numéro d’urgence en France, à l’instar de ce qui se pratique dans nombres de pays européens.
Les autres numéros d’appel devront soit être considérés comme des numéros abrégés permettant de contacter les services publics adéquats pour des situations non urgentes (par exemple pour l’accès à la permanence de soins), soit disparaitre progressivement. Une large campagne de communication et de promotion du 112 devrait, au niveau national, accompagner ce changement.
Champ d’application des plateformes
1. Réunir tous les acteurs en charge des appels d’urgence… La démarche actuelle du ministère de l’Intérieur, confiée à un groupe de travail sur les technologies de sécurité intérieure (GTTSI) sous l’autorité du Secrétariat général du ministère a pour objectifs la finalisation du regroupement sous l’égide de la BSPP de la gestion des appels aux 17/18/112 dans le périmètre de la préfecture de police de Paris pour l’Euro 2016 de football, suivi de possibles expérimentations similaires dans quelques départements. La FNSPF adhère à ce socle de base. Pour autant, elle considère que la présence permanente d’un médecin est indispensable à la coordination médicale des situations d’urgence ; elle permettrait en outre un renforcement du soutien médical des interventions des sapeurs-pompiers, policiers et gendarmes. Aussi, la FNSPF souhaite-t-elle résolument contribuer à impulser une démarche plus globale incluant tous les services dédiés à l’urgence dans la création de plateformes communes intégrées. Elle préconise donc que l’activité des CRRA 15 liée au secours soit intégrée dans les plateformes communes afin que celles-ci gèrent toutes les urgences. Ce rapprochement permettra en effet de remédier à la situation actuelle où, dans la moitié des départements, les systèmes d’information des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) et ceux des services d’aide médicale urgente (SAMU) ne partagent pas d’informations en temps réel14.
Cette mutualisation aura aussi pour avantages de développer la coopération entre les Sdis et les SAMU, d’opérer un utile débruitage des CRRA 15 et de se conformer à la recommandation de la Cour des comptes15, qui n’excluait pas au besoin le recours à un texte législatif, pour contraindre les acteurs à mutualiser leurs moyens. Par ailleurs, le 114 est un numéro d’urgence global qui fonctionne via SMS et dont l’interface est dédiée aux personnes sourdes, malentendantes, ou ayant du mal à s’exprimer. Ce numéro traite déjà d’une problématique d’urgence intégrée (urgences « santé » ; urgences « sécurité » ; urgences « danger immédiat », selon la classification présentée sur le site internet dédié www.urgence114.fr) en lien direct avec les 15/17/18 et donc 112. Une étude d’opportunité devra déterminer si ce service spécifique gagnerait ou non à être intégré aux plateformes communes dédiées à l’urgence. En tout état de cause, un retour d’expérience permettra d’apporter une utile expertise et expérience de ses opérateurs dans le travail interservices. Selon le même schéma, les 191 (sauvetage aéronautique) et 196 (sauvetage maritime) devront intégrer les plateformes et, leurs numéros, disparaître au profit du 112.
2. … et uniquement les numéros d’urgence. Pour autant, tous les numéros aujourd’hui identifiés comme « numéros d’urgence » ne relèvent pas strictement de l’urgence. La nature des missions et le délai nécessaire de décroché ne relèvent pas tous du même registre. Ainsi, l’activité principale des CRRA 15 relève désormais de la permanence des soins et non de l’urgence absolue nécessitant intervention des SMUR16 et des moyens de secours. Cette part de l’activité des CRRA 15 ne relevant pas du domaine des secours, ne peut avoir vocation à intégrer les plateformes, sous peine d’encombrement et de délai de traitement longs inacceptables pour des situations urgentes. Selon le même raisonnement, les missions d’assistance aux personnes ne relèvent pas non plus d’une urgence vitale nécessitant un décroché et une intervention rapides. Les appels reçus pour ces missions n’auront donc pas vocation à être traités par les plateformes communes et seront donc acheminés directement vers les structures compétentes. Le 115, numéro d’accueil et d’aide aux personnes sans hébergement, relève lui aussi d’une problématique distincte de l’urgence. Cependant, son intégration pourra être décidée au niveau local, en fonction des acteurs présents et de la sollicitation. Le 119 (enfance maltraitée) pourrait être considéré selon la même analyse. Les projets d’accès à un numéro d’urgence des numéros tels que « Alerte attentat » ou « Alerte enlèvement » relèvent également de celle-ci.
Dimensions et échelon pertinent
Engager des mutualisations et rapprochements afin d’aboutir à la création de plateformes communes intégrées nécessite de définir clairement leur dimensionnement et l’échelon le plus pertinent pour leur gestion. Il convient d’observer à cet égard que le découplage entre le traitement de l’appel et le niveau opératif est déjà intervenu avec la départementalisation des services d’incendie et de secours, et que les changements d’échelle ne sont plus aujourd’hui de nature à entraîner de réelle difficulté opérationnelle.
L’expérience des services d’incendie et de secours montre qu’un échelon trop petit permet certes une qualification très précise des alertes, mais expose à un coût de gestion bien trop onéreux. L’échelon départemental, actuel échelon de gestion des services d’incendie et de secours, semble à cet égard avoir trouvé ses limites. Les Sdis engagent des dépenses importantes et manquent de ce fait d’efficience. Il semble alors nécessaire de passer à un traitement plus global et donc de penser la gestion de l’alerte à un niveau supérieur.
En revanche, si l’échelon de gestion choisi est trop grand, des difficultés risquent d’apparaître en termes d’adaptabilité, de management – notamment de la ressource volontaire très ancrée dans son territoire -, de qualité de service ; et la capacité de résilience sera plus difficile. Trois aires géographiques semblent pertinentes, pour régler les enjeux de mutualisation opérationnelle et de modèle économique. Ainsi, tant les zones, que les régions ou les bassins de risques peuvent trouver une pertinence à devenir l’échelon de mutualisation. Un nécessaire débat et dialogue devra être mené pour peser les avantages et inconvénients de chaque échelon afin de définir celui qui répondra au mieux aux besoins et attentes des citoyens.
Une mutualisation zonale aurait pour net avantage de permettre aux centres opérationnels de zones (COZ) de devenir les arrière-salles de montée en puissance de ces plateformes communes. Cela aurait pour effet, notamment, de mettre fin à la myopie actuelle des COZ sur les CTA et entrerait en adéquation avec la directive interministérielle de la planification de défense et de sécurité nationale du premier ministre du 11 juin 2015, la réforme de la doctrine opérationnelle des SDACR et le projet de COTTRIM17. La directive interministérielle conforte en effet la zone de défense et de sécurité comme niveau privilégié de la planification civilo-militaire et charge le préfet de zone de défense et de sécurité d’assurer en cas de crise majeure « sur le territoire de sa zone, la répartition des moyens mobilisés au sein des ministères, des armées, des ARS, des collectivités et des opérateurs d’importance vitale ». Ces éléments vont ainsi dans le sens d’une homogénéisation des politiques d’urgence et d’une coordination des moyens spécialisés (hélicoptères…).
Une mutualisation régionale permettrait, quant à elle, un meilleur dialogue avec les Agences régionales de Santé et les CRRA 15 qui sont déjà entrés dans un processus de régionalisation. Cependant, le glissement d’activité des CRRA 15 depuis l’urgence absolue vers la permanence des soins, ainsi que la poursuite du mouvement de concentration de l’offre de soins militent pour le regroupement de centres d’appels médico-psycho-sociaux régionaux.
Une mutualisation par bassin de risques, permettrait une analyse des risques plus homogène vis-à-vis de risques particuliers (zone fluviale ou littorale, massif, bassin industriel).
Organisation
La FNSPF préconise la création de plateformes de traitement de l’alerte qui soient véritablement interservices, interministérielles et dédiées à l’urgence.
Les plateformes communes gagneraient alors à être organisées selon trois niveaux :
- Le premier niveau serait une plateforme commune (zonale, régionale ou par bassin de risques) de gestion de la réception, et du « débruitage » des appels (front-office).
- Le deuxième niveau serait également physiquement positionné sur la plateforme commune de gestion de la qualification (mutualisée) des appels. Ce back-office permettrait la réunion dans un espace commun de toutes les valences, expertises et logiques métiers de la police, de la gendarmerie, des sapeurs-pompiers et des SMUR. La qualification s’entend ici comme, d’une part, la détermination des coordonnées géographiques, et d’autre part de la nature de la situation ainsi que des ressources opérationnelles initialement nécessaires.
- Enfin, le troisième niveau relèverait de la gestion de l’engagement opérationnel à l’échelon départemental par les centres opérationnels des différents services. Les départs seraient alors adaptés aux ressources disponibles, dans une logique de gestion et de réponse de proximité. Cependant, la gestion des opérations courantes pourrait être déléguée au niveau 2 par le niveau départemental 18, afin de limiter la présence d’opérateurs, notamment hors heures ouvrables, à une simple veille opérationnelle.
La remontée des informations traitées par le troisième niveau vers les niveaux 1 et 2 (COZ si l’échelon zonal était retenu) ainsi que vers le niveau national (ministère de l’Intérieur et gouvernement) se ferait alors de façon fluide et rapide via le COGIC-CIC.
Concernant les Sdis, cette organisation générerait des économies d’échelle conséquentes, lors de la réalisation des outils de gestion de l’alerte, puis en permettant de ne plus activer simultanément les CTA et les CODIS, l’un pour répondre à l’alerte (CTA), l’autre pour suivre les interventions et faire remonter les informations (CODIS). En outre, les coûts de maintenance évolutive et corrective seraient mutualisés entre les 98 Sdis selon une clé de répartition objective (en fonction de la population ou du nombre d’appels reçus, par exemple).
Fonctionnement
De telles plateformes de traitement de l’alerte zonales, régionales ou par bassins de risques, interservices, interministérielles et dédiées à l’urgence nécessiteront un pilotage central et interministériel, décliné de façon déconcentrée dans les territoires.
L’État doit ici affirmer sa place, et initier en outre une démarche nationale via :
- la création d’un logiciel national adaptable en fonction des spécificités territoriales, permettant d’assurer une réelle interopérabilité des données et une meilleure coordination opérationnelle en cas d’événement de grande ampleur ;
- l’implantation déconcentrée de ces plateformes au niveau zonal, régional ou de bassins de risques ;
- la dévolution de leur direction à un membre du corps pré- fectoral chargé de la coordination interservices et interministérielle de ces outils. Les préfets délégués de zones de défense et de sécurité, si cet échelon est retenu, apparaissent comme des titulaires naturels de cette autorité.
Dans un souci de proximité et d’adaptation à la diversité des territoires (besoins, moyens..), la gestion de l’engagement opérationnel continuerait à relever de l’échelon départemental : un continuum serait ainsi assuré entre l’activité quotidienne et la responsabilité du préfet de département dans la gestion de crise au niveau local (coordination des différents services de l’État - police, gendarmerie, Sdis, ARS, délégué militaire départemental, des collectivités territoriales et des opérateurs du département). Par ailleurs, les sapeurs-pompiers disposent de compétences dédiées à la réception des appels et au traitement des alertes. Spécialistes du domaine, ces compétences auront vocation à devenir des piliers des plateformes communes.
Conclusion
La création de plateformes communes de gestion des appels d’urgence avec comme numéro unique le 112 apparaît donc comme une réponse appropriée aux enjeux opérationnels (continuum entre zones urbaines et rurales, gestion quotidienne et gestion de crise), techniques (prise en compte des nouvelles technologies de l’information et de la communication) et financiers (recherche d’économies et de mutualisations) communs aux acteurs de la sécurité et des secours. Elle contribuerait à la simplification nécessaire de l’action publique, tout en rapprochant notre organisation des standards européens et internationaux. Proposée par de nombreux rapports, cette évolution n’a jusqu’alors fait l’objet que de déclinaisons limitées.
A travers le présent document, les sapeurs-pompiers de France entendent par conséquent apporter leur contribution au débat et concourir aux réflexions engagées à ce sujet par les pouvoirs publics, en particulier le ministère de l’Intérieur. Plusieurs éléments, notamment l’échelon pertinent de rattachement de ces plateformes (zone/région/bassin de risques), devront naturellement être tranchés lors de ce débat.
Cependant, il apparaît d’ores et déjà que, pour pleinement contribuer à l’optimisation des moyens, celui-ci devra s’inscrire dans une logique interservices et interministérielle, respecter les missions des services et les différentes logiques métiers, et préserver la proximité de la réponse opérationnelle.
La multiplicité des acteurs concernés rend indispensable le pilotage de l’État et l’adhésion des collectivités territoriales à ce projet, ainsi que leur collaboration partenariale à sa mise en œuvre. Du fait de son ambition, cette mutation devra probablement donner lieu dans un premier temps à la mise en place expérimentale, au niveau territorial retenu, d’une ou plusieurs plateformes regroupant l’intégralité des services d’urgence.
Les sapeurs-pompiers de France souhaitent de ce fait l’émergence rapide et durable d’un consensus politique sur cette réforme, qui répond à un objectif partagé de modernisation et d’efficience du service rendu au public.