Les Bals des pompiers
[MAGAZINE] Le traditionnel bal des pompiers remonte à la décision de Napoléon d’instituer une célébration le 15 août, jour de sa naissance. Plus tard, c’est la date du14 juillet qui a repris le flambeau de ce bal populaire.
Une fois par an, le bal des pompiers inverse la nature des échanges entre pompiers et population. Ceux qui, d’habitude, côtoient la population en situation de détresse, ont, lors du bal, l’occasion d’échanger avec leurs concitoyens sur un mode festif. Certes, d’autres opportunités existent, telles des opérations portes-ouvertes ou la Journée nationale des sapeurs-pompiers, comme le 15 juin dernier, mais… ce sont des visites studieuses. Le bal et les pompiers ont une histoire liée à celle du pays. En effet, outre le bal du 14 Juillet, il y eut une autre date autrefois : le 15 août. Sous les Premier et Second Empires, la Saint-Napoléon fêtait la naissance de l’empereur (le 15 août 1769), instituée par un décret impérial de 1806 (bien que ce saint soit inexistant « au répertoire » de la martyrologie), également date anniversaire de la signature du concordat de 1801 qui avait rétabli la religion catholique en France : «Art. 1er. La fête de saint Napoléon et celle du rétablissement de la religion catholique en France seront célébrées, dans toute l’étendue de l’empire, le 15 août de chaque année, jour de l’Assomption, et époque de la conclusion du concordat.» L’église romaine, malgré ses réserves, s’exécuta pour trouver un certain Neopolis Martyr au IVe siècle, dont le nom s’était transformé en Napoleo, puis en Napoleone. Organisées dans tout l’Empire, il semblerait que les cérémonies de la Saint-Napoléon furent assez modestes, donnant surtout aux officiels locaux l’occasion de chanter les louanges de l’Empereur… Napoléon III ré-institua cette fête par le décret du 16 février 1852 pour «réunir tous les esprits dans le sentiment commun de la gloire nationale». Le clergé réussit à convaincre l’Empereur de déplacer son jour anniversaire du 15 au 16 août tout en en gardant l’appellation et la symbolique.
Feux d’artifice
Dans chaque commune du pays, la fête commençait donc par la distribution d’aumônes aux pauvres, suivie par un Te Deum dans l’église locale. S’ensuivait une revue militaire, autant que possible formée de soldats et d’officiers de l’armée régulière, voire de gardes nationaux ou de sapeurs-pompiers dans les communes les plus modestes. Dans l’après-midi, il y avait des jeux et des divertissements publics. Les réjouissances connaissaient leur apogée dans la soirée avec des feux d’artifice (ou des feux de joie dans les communes pauvres), suivis de banquets pour les élites, de bals et de divertissements musicaux pour la population. On en apprend beaucoup par la presse d’époque de 1852 à 1869 (en 1870, nous étions en guerre) sur le déroulement du bal donné par les pompiers de la Ville de Paris dans leur caserne de la rue Culture Sainte-Catherine (Sévigné), à l’occasion de cette fête. Une même invitation est donnée pour la caserne rue de la Paix, ce qui laisse à penser que d’autres casernes du moment pouvaient aussi en organiser. D’après ces articles, le portique, les agrès, le cheval d’arçon, les barres parallèles, les planches à rainures…, tout était magnifiquement camouflé derrières tentures, lampions, feux de Bengale, fleurs, arcade de verdure, etc., avec «au milieu et bien placé le buste de Napoléon III entouré d’un trophée de drapeaux surmonté d’un aigle colossal aux ailes déployées». À cela s’ajoute «un buffet des mieux assortis où plus d’une main, finement gantée, venait s’égarer sur de délicates friandises. Beaucoup de toilettes gracieuses et de femmes encore plus gracieuses que leurs toilettes, vous aurez, en résumé, l’agréable spectacle auquel ont pu assister les nombreux invités, parmi lesquels figuraient des personnages de distinction…» et, bien entendu, pour terminer bal et article, «les danses n’ont cessé qu’à une heure avancée de la nuit, car ces braves artistes, appartenant à la musique, furent forcés d’abandonner les danseurs pour aller répondre à l’appel».
Théâtre en caserne
On a donc, là, la preuve que, lors d’une fête nationale, des gens extérieurs au corps, même sur invitation, dansaient, de façon toute officielle, avec les pompiers dans nos casernes parisiennes. Il est fort probable qu’il en fut ainsi dans d’autres grandes villes. Réhabilitée en date de fête nationale, le 14 Juillet a repris plus tard son flambeau en veille, festivités comprises. Ainsi, dans les casernes s’organisaient des jeux, des pièces de théâtre, comme le rappelle le journaliste René Thorel dans le journal « Le Gaulois du Dimanche » du 4 octobre 1908 prenant exemple sur la caserne Grenelle qui avait un théâtre aux décors démontables «possédant les derniers perfectionnements modernes», et pouvant accueillir 400 spectateurs. Les premiers rangs sont réservés aux officiers et à leur famille, suivent derrière les sous-officiers et les sapeurs. «Le directeur du théâtre, organisateur de premier ordre, est le sergent Brochet, architecte, décorateur, metteur en scène, il s’occupe des répétitions, tâche ingrate car celles-ci doivent se faire aux rares heures de liberté.» Dans le pays, les pompiers n’étant pas tous casernés, le bal s’installe dans un lieu plus spacieux ou sur la place du village avec la certitude pour les citoyennes d’y trouver un cavalier, ou plutôt un pompier.... On situe depuis longtemps l’origine du premier « bal des pompiers » en caserne à 1937 grâce à la décision d’un sergent de faire rentrer du public à la caserne parisienne Montmartre. L’histoire montre que c’est plus compliqué que ça. En effet, un programme invite des participants à assister à des festivités dans cette même caserne en 1926. Mais il y a une date bien connue du monde des pompiers, le 4 décembre, celle qui célèbre sainte Barbe. Outre le cérémonial, bien souvent semblable dans le pays, les journées se terminent par un banquet et un bal, généralement en famille, augmentés d’invités, en caserne ou dans une salle communale.
Carnet de bal
Au début du siècle dernier, les jeunes filles de bonne famille vont au bal pour trouver un mari. La bienséance recommande de ne pas accorder plus de trois danses au même cavalier, au risque de se compromettre. Pour cela existe le carnet de bal, imprimé en nombre pour les bals de nuit ou de matinée organisés par les sociétés. Par « sociétés », il faut entendre amicales, sociétés mutualistes, associations professionnelles ou régionales. Y figurent numérotées les 30 ou 40 danses prévues au programme. On y marque le nom des danseurs. Ils sont distribués à l’entrée ou envoyés avec l’invitation. On en trouve jusque dans les années 1930. Les bals de Sainte-Barbe n’y ont pas échappé, comme le montre l’illustration en page de gauche. La popularité du bal des pompiers dépasse nos frontières et attire aussi les étrangers de passage dans la capitale. Un reportage télévisé de 2005 relate la venue de cars de touristes anglais pour faire la fête dans la caserne de Grenelle dans le 15e arrondissement, sur la proposition d’un tour opérateur. Dans le livre « Le bal des pompiers » de Jean Nohain, illustré par Claude Dauphin en 1947, et sur l’affiche du film adapté en 1949, le sous-titre prévient « Au bal des pompiers, c’est toujours les mêmes qui dansent. »
Texte lieutenant (rc) Patrice Havard, membre d’honneur de la commission fédérale Histoire, Musées, Musiques ; ancien directeur du musée de la BSPP (1994-2005)