Le Seveso s’embrase au cœur de l’agglomération

Opérationnel - Le 08 novembre 2019

[Magazine] Des flammes de 30 mètres et un panache de fumée de 22 kilomètres de long sur six de large: c’est un feu d’une rare violence auquel les sapeurs-pompiers du Sdis 76 ont été confrontés dans la nuit du 25 au 26 septembre. L’incendie de la société Lubrizol, un site Seveso en pleine agglomération, a procuré un cocktail de difficultés. Récit sans tabou.

Le Seveso s’embrase au cœur de l’agglomération

Par Dominique Verlet
Photos Marceau Bellenger, Sdis 76

Les secours sont appelés à 02 h 42 par l’entreprise voisine de la société Lubrizol qui signale l’incendie. Le site, classé Seveso seuil haut, dispose d’un service de sécurité H 24. Au moment où le Codis le contacte, les alarmes incendie se déclenchent au PC sécurité. Les secours de l’établissement répertorié sont engagés pour feu avéré : deux fourgons, une échelle automatique, un dévidoir automobile, un poste de commandement de colonne et un chef de groupe.

02 h 45

La lueur émise par le feu et le panache de fumée sont visibles par les secours en transit depuis le centre de secours principal, distant de trois kilomètres. Une vision qui incite le chef de groupe, avant son arrivée, à renforcer les moyens dont il sait déjà qu’ils seront nécessaires. C’est un groupe d’attaque « zone industrielle pétrolière » qui est engagé : un fourgon mousse grande puissance, un fourgon pompe-tonne grande puissance, une cellule émulseur, un camion dévidoir grande puissance et un chef de groupe. L’ensemble est complété par un groupe d’alimentation avec deux dévidoirs automobiles, une cellule dévidoir grande puissance, un poste de commandement de site et un chef de groupe. Au total, ce sont une douzaine d’engins et une cinquantaine d’hommes qui convergent sur les lieux.

02 h 55

L’ensemble du site de la société Lubrizol regroupe, sur une quinzaine d’hectares, des entrepôts de stockage d’hydrocarbures et d’additifs pour huiles, des unités de fabrication et des locaux administratifs, séparés par des voies de circulation. Environ un tiers des 8 500 m2 de l’entrepôt A 5 est embrasé. À l’exception du premier fourgon qui est au contact, les engins sont maintenus à l’extérieur. La propagation par rayonnement est imminente à l’entrepôt A 4 ainsi qu’à des fûts de 200 litres et des citernes plastiques de 1 m3 situés en plein air entre les deux. La première lance-canon est mise en œuvre entre ces deux zones pour l’éviter. Dans le même temps, le feu se propage par rayonnement à la toiture d’un entrepôt d’une entreprise voisine.

03 h 10

Le chef de groupe transmet dans son message : «Important feu avec propagation non contrôlée ; je demande un groupe incendie en complément» (deux fourgons pompe-tonne, une échelle un dévidoir automobile et un chef de groupe, ndlr). À ce moment-là, la fusion de citernes plastiques sous l’effet du rayonnement crée un épandage au sol et produit des écoulements enflammés qui progressent vers les engins. Un repli des engins en direction des parkings est immédiatement ordonné. Le fourgon mousse grande puissance, placé en protection pour couper la propagation entre les entrepôts A 4 et A 5, a consommé ses 10 000 litres avant d’avoir pu être alimenté. Des nappes enflammées continuent à se répandre. Le chef de colonne, arrivé sur les lieux, prend le commandement des opérations de secours.

La dimension « risque techno »

Témoignage du commandant Eric Tirelle,chef du secteur risque technologique

« Les sinistres récents précédents, dans le département ou ailleurs, ont rappelé l’importance de prendre en compte les conséquences du sinistre sur l’environnement et la santé. Dès le début de l’opération, le commandement a été articulé en deux secteurs : l’un dédié à l’incendie, l’autre à la protection des populations et de l’environnement. Cette dimension de l’intervention se polarise sur deux flux principaux : l’un gazeux avec le panache de fumée, l’autre liquide avec l’écoulement des eaux d’extinction chargées en liquides inflammables et polluants. » « L’action sur les flux liquides a consisté à canaliser les écoulements afin de contenir le maximum de matière sur le site, tout en restant vigilant sur le risque de montée des eaux chargées en hydrocarbures. Des échantillons d’effluents sont prélevés et deux lignes de barrages antipollution sont placées au point de rejet dans le bassin du port ; complétées par une troisième en fermeture du bassin. Le dispositif a été efficace, aidé par le vent qui a poussé la pollution en fond de bassin. »« Le flux gazeux a fait l’objet de mesures pour qualifier et quantifier le risque avec les moyens de détection de la cellule mobile d’intervention chimique, plus précisément en dioxyde de souffre et dioxyde d’azote. Ils étaient présents à des concentrations inférieures aux seuil de réversibilité des effets après 8 heures d’exposition pour des personnes sensibles. Des prélèvements sont opérés par des canisters (des ampoules de 5 litres sous vide qui permettent de capter un échantillon d’atmosphère, ndlr) et analysés en laboratoire. Les analyses de fumées sur les prélèvements opérés par le Sdis ont permis d’identifier de multiples composés prévisibles et courants dans les feux d’hydrocarbures, dont la liste a été publiée par les services de l’État et sujette à des interprétations complexes. Enfin, des tenues de feu de personnels ont été examinées en laboratoire sans révéler de traces d’amiante.» (Des fragments de toiture en fibrociment amianté ont également été retrouvés au sol à distance du site et pris en charge par une entreprise de retraitement, ndlr.) « Les mesures immédiates de protection des populations qui ont consisté à la mise à l’abri dans un rayon de 500 m., à la fermeture des établissements scolaires sous le panache et à une consigne de gestion des ventilations dans les établissements accueillant des personnes sensibles (Ehpad...) se sont avérées cohérentes et proportionnées au regard des résultats d’analyses. (Par opposition à l’absence de mesures ou à un confinement ou une évacuation totale, ndlr). Enfin, une fois l’extinction terminée, les sapeurs-pompiers deviennent “force concourante”. Les conséquences éventuelles à long terme relèvent, pour la santé publique, de l’Agence régionale de santé et, pour l’environnement, de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement. »

03 h 25

La situation est totalement dégradée avec des propagations dans toutes les directions et des fûts qui explosent en projetant des débris. Alors que l’alimentation des engins de lutte se poursuit, il est décidé de faire la part du feu. L’objectif est de maintenir les premiers efforts portant sur la préservation de la zone de production qui comporte un stock d’alcool, et du bâtiment d’administration.  Un stock de pentasulfure de phosphore, hautement inflammable et incompatible avec l’eau, et risquant de produire de l’hydrogène sulfuré, extrêmement inflammable et mortel par inhalation, est éloigné du site par les personnels de l’entreprise sous protection. L’alimentation des engins se poursuit par des lignes de 110 sur le réseau de ville qui s’avère en limite de capacité et qui doit être complété par des lignes de 150 en aspiration dans le bassin du port. Les explosions accompagnées d’effet « missile » (la projection de fûts, ndlr) se multiplient. Le mur de flammes et l’opacité rendent difficile l’orientation des lances. Un appui aérien par hélicoptère et drones est engagé afin de diriger leur action et de cibler plus précisément les points d’attaque.

03 h 55

Des nouvelles nappes d’hydrocarbures enflammées continuent à progresser en direction des équipes et des véhicules, imposant un second repli. Plus aucun moyen de lutte ne peut être en contact direct. L’ensemble du dispositif est repositionné en limite du site. La montée en puissance du dispositif d’attaque atteindra au total 28 m3 / mn, soit l’équivalent de 56 lances.

04 h 02

Les premières mesures de détection de toxiques dans l’atmosphère sont entreprises en 26 points de l’agglomération. Les données sont transmises au Codis et au centre opérationnel départemental à la préfecture où est affecté un officier conseiller risque technologique (RCH 4) en plus de celui présent sur site à un PC dédié.

05 h 30

Le feu est maîtrisé. Les risques de propagation seront définitivement écartés à 13 heures et le feu est considéré comme éteint à 15 heures, avec toutefois des lances qui resteront plusieurs heures en manœuvre par intermittence sur les foyers résiduels. Sur les 9 000 tonnes de liquides inflammables présents sur le site, 5 200 tonnes, hydrocarbures, huiles et additifs, ont brûlé. L’action des secours aura permis, en 12 heures, de contenir le sinistre aux deux bâtiments de stockage et à un entrepôt d’une entreprise mitoyenne déjà partiellement embrasé à l’arrivée des secours. Autre point de satisfaction, et non des moindres pour le Sdis : l’absence de blessés parmi les personnels engagés, malgré des premières heures de lutte où se cumulaient conditions extrêmes et incertitudes.

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Le Seveso s’embrase au cœur de l’agglomération

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