Géolocaliser des premiers intervenants par smartphone
[Magazine] Un arrêt cardiaque… et des secours qui à l’appel géolocalisent via leur smartphone des intervenants référencés pour raccourcir le délai de mise en œuvre des premiers gestes. C’est le principe du Bon Samaritain, dévéloppé par Staying Alive, déployé à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et dans plusieurs Services départementaux d'incendie et de secours (Sdis). Le point sur ce nouveau secourisme en mode Uber.
Paul Dardel, ancien médecin du Samu, a créé l’application Stayingalive pour faire intervenir au plus vite des secouristes auprès des victimes d’ACR. « Tout le monde s’accorde sur le fait que pour assurer un meilleur pronostic aux victimes, il faut agir dans les quatre premières minutes, alors qu’en France, le délai moyen d’intervention des secours est de 11 minutes. Pour combler ces 7 minutes, j’ai eu l’idée de mettre à contribution des Bons Samaritains, des personnes formées au secourisme. » Avec Staying Alive, lorsque les secours reçoivent un appel pour ACR, ils peuvent alerter les Bons Samaritains (BS) inscrits sur l’application se trouvant à moins de 500 mètres de la victime.
Leur téléphone sonne pour leur demander s’ils souhaitent intervenir. Si un BS accepte la mission, il n’a qu’à suivre les indications pour se rendre sur les lieux de l’accident et commencer le massage cardiaque en attendant que les secours arrivent pour prendre le relais. « En France, même s’il y a encore trop peu de gens formés aux premiers secours, il y en a de plus en plus et ces compétences sont sous-utilisées. D’où l’idée de créer un outil solidaire et citoyen pour les faire intervenir », précise M. Dardel.
Au départ, l’application Stayingalive avait été créée pour recenser les défibrillateurs. Elle en géolocalise 60.000 en France. « En 2016, nous avons décidé de la compléter avec une base de données de secouristes susceptibles d’intervenir en cas de besoin. Pour cela, nous avons travaillé avec les sapeurs-pompiers de Paris qui nous ont aidés à mettre au point le service. » Ensemble, ils ont recruté des Bons Samaritains, 15.000 se sont inscrits sur l’application et 1.500 nouvelles inscriptions se font chaque mois. « C’est bien, mais pas encore assez. Il reste encore des interventions pour lesquelles nous ne trouvons pas de BS. Nous voudrions pouvoir en envoyer deux par intervention, plus un 3e pour aller chercher un défibrillateur. Mais pour le moment nous en avons rarement plus de deux à solliciter », regrette M. Dardel.
Et l’application peine à s’étendre dans les régions. « Certains Sdis sont intéressés mais craignent que cela crée une surcharge de travail lors des prises d’appel et préfèrent attendre que le service soit intégré au logiciel des centres de régulation. D’autres ont des réticences liées aux problèmes juridiques. Il y avait aussi un frein lié au fait que jusqu’à l’an passé nous facturions l’application, mais nous l’avons levé en créant un fonds de dotation chargé de financer le service, de manière à pouvoir le déployer gracieusement auprès des 15 / 18 / 112. »
Une application testée et approuvée par la BSPP
En 2016, Paul Dardel présente au professeur Stéphane Travers de la BSPP son projet d’application visant à faire intervenir auprès de victimes d’arrêt cardiaque des secouristes, prévenus via leur smartphone.
À savoir
- L’application est gratuite.
- Elle n’entraîne pas de surconsommation de batterie.
- Elle ne vous engage pas à intervenir en cas de sollicitation.
- Vous n’êtes géolocalisé que lorsque vous êtes à proximité d’une victime d’ACR.
- D’autres applications que « Bon Samaritain » existent et fonctionnent sur le même principe comme SAUV Life ou Permis de sauver…
« Convaincu de l’intérêt de cette application, il a vite été décidé de travailler ensemble à son élaboration », rapporte Clément Derkenne, médecin principal du centre médical de Courbevoie faisant partie du GSS (groupement de soutiens et de secours), 33e compagnie. « Parce qu’en cas d’ACR, chaque minute qui passe c’est 10 % de chances en moins de sauver la victime et que le délai d’intervention des pompiers parisiens est de 10 minutes, le concept du Bon Samaritain nous a semblé intéressant. Mais nous nous sommes trouvés confrontés à des aspects juridiques que nous avons dû lever. » Pour protéger les Bons Samaritains le temps de leur intervention, il a été décidé de leur appliquer le statut de collaborateur occasionnel du service public. « Et la mise en cause pour non-assistance à personne en danger dans les cas où les Bons Samaritains ne pourraient pas intervenir a été écartée par la publication d’une note ministérielle », se félicite Clément Derkenne.
Ces aspects réglementaires réglés, le concepteur de l’application et les pompiers ont pu s’attacher aux problèmes techniques et à l’aspect pédagogique. « Pour que l’application fonctionne, il fallait recruter au plus vite un maximum de Bons Samaritains. Parce qu’au début, faute d’en avoir suffisamment, quand on déclenchait, il ne se passait rien. Nous avons fait une pub d’enfer pour que des gens s’inscrivent. Et nous avons eu la chance de faire intervenir un Bon Samaritain sur une victime de 34 ans qui a été sauvée et a témoigné sur les réseaux sociaux, contribuant à faire connaître l’application. » Aujourd’hui, sur les départements couverts par la BSPP, 15000 BS sont inscrits. « C’est bien, mais il en faudrait 50 000 pour que cela commence à être réellement performant, car pour un appel sur deux on ne trouve encore personne. » Les pompiers de Paris continuent donc leur campagne d’incitation à s’inscrire.
Tous ceux ayant une formation de secouriste peuvent le faire. Lorsqu’un Bon Samaritain est sollicité pour une mission et qu’il l’accepte, il est géolocalisé et les pompiers parisiens l’appellent pour le guider et lui indiquer où prendre un DSA. « Grâce à l’application, nous avons pu passer de 4 utilisations de DSA par mois à 13. » L’exemple à suivre est la ville de Seattle, où 70 % des victimes d’arrêts cardiaques sont sauvées grâce aux défibrillateurs.
À Paris, ou les pompiers interviennent 3 fois par jour pour des ACR sur la voie publique, le taux de survie varie entre 7 et 10 %. La marge de progression est donc importante. « Si des Sdis sont intéressés, nous leur ferons bénéficier de notre expérience pour trouver des BS, former les opérateurs et intégrer l’application dans leur logiciel métier », propose Clément Derkenne.
Les secours plus rapides avec l’application
L’application est déjà utilisée par plusieurs Sdis, dont ceux de Seine-et-Marne (77), de Haute-Saône (70) et du Lot-et-Garonne (47). « Dans notre département où il faut parfois 15 minutes aux SP pour intervenir dans les coins les plus reculés, le concept du Bon Samaritain nous paraissait intéressant », justifie Xavier Pergaud, chef du groupement du Sdis 47 où l’application a été lancée en novembre dernier.
« Staying Alive a déjà été déclenchée une dizaine de fois, et sur 2 interventions nous avons trouvé des BS pour agir, ce qui a déjà permis de sauver une vie. » Celle d’un homme signalé en ACR dans le centre d’Agen, pour lequel l’application a identifié 5 Bons Samaritains. « L'un d’eux a accepté de se rendre sur le lieu de l’accident pour commencer le massage cardiaque et lorsque les sapeurs-pompiers sont arrivés, ils ont choqué la victime et son cœur est reparti. Sur cette intervention, les secours ont mis 6 minutes pour intervenir contre 1 minute 30 pour le Bon Samaritain », détaille Xavier Pergaud.
Six cents BS sont inscrits sur l’application en Lot-et-Garonne, mais il en faudrait 10.000 pour couvrir correctement le département. Les sapeurs-pompiers du 47 apprécient aussi d’avoir accès à la cartographie des défibrillateurs. « Le taux de ressuscitation est meilleur lorsqu’on les utilise. Cela permet de sauver une victime sur 5 et en intervenant plus vite on espère monter à un sur deux. » Xavier Pergaud rapporte qu’« en activant l’application pour une intervention dans un village pour une victime d’ACR de 80 ans, un pompier d’astreinte a reçu l’alerte, accepté la mission et s’est rendu directement sur le lieu de l’accident sans passer par la caserne. Lorsque ses collègues l’ont rejoint, la victime avait déjà été réanimée. Nous n’avions pas identifié cette possibilité de gagner du temps et d’avoir davantage de chances de sauver des vies », s’enthousiasme-t-il.
Texte : Valérie Chrzavzez
Docteur Patrick Hertgen, vice-président de la FNSPF : « Tout ce qui permet de sauver des vies est une bonne chose. »
« De tout temps, des secouristes occasionnels sont intervenus sur des victimes au hasard des événements. Ce qui est nouveau, c’est d’utiliser les nouvelles technologies pour mettre en relation les victimes avec des sauveteurs potentiels via les services de secours. Tout ce qui permet de sauver des vies est une bonne chose, c’est pourquoi nous encourageons les sapeurs-pompiers à utiliser l’application. Staying Alive n’est pas la seule à proposer ce genre de service, mais c’est la première à s’être lancée sur ce créneau, et elle a montré son efficacité à Paris avec la BSPP, et dans les régions avec les Sdis 47 et 70. On voit apparaître des services concurrents, et si on peut saluer ces initiatives, nous pensons qu’il vaut mieux aller vers un acteur déjà éprouvé et contribuer à la convergence en créant une base de données unique de secouristes et de défibrillateurs, plutôt que de participer à la dispersion. Staying Alive bénéficie d’une expertise déjà ancienne, c’est pourquoi j’encourage tous les Sdis à l’utiliser. Si nous ne le faisions pas, on pourrait nous reprocher le défaut de moyens pour être passés à côté d’un système innovant. »
Pour un numéro d’urgence unique : le 112 - Efficacité et gain de temps en perspective