Entretien avec Éric Faure: «Le système stagne, nous devons le consolider et nous renforcer»
[MAGAZINE] À quelques jours du 124e Congrès national, Éric Faure, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France et de l’Œuvre des pupilles, livre pour le magazine «Sapeurs-pompiers de France» son constat sur l’actualité. Il dévoile ses réflexions en faveur de l’évolution d’un modèle en besoin de transformation.
SPF - le Mag : Nous sommes à la deuxième saison feux de forêt consécutive avec des surfaces brûlées doublées par rapport à la moyenne des 10 années précédentes. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Éric Faure : Ce que je note, c’est que la saison feux de forêt 2016 avait été précédée de crues très intenses en mai et en juin, notamment en région parisienne. Et cette année 2017, alors que la campagne est encore en cours, nous sommes confrontés aux cyclones qui frappent les Antilles. Face à ces crises intenses et répétitives qui se multiplient, j’observe trois points : toutes sont liées au climat, elles impactent immédiatement les modes de vie et elles se déroulent avec un effet de caisse de résonance médiatique, du fait de la multiplicité et de l’instantanéité des vecteurs d’info. Cela induit un quatrième phénomène : le citoyen compte de plus en plus sur les pouvoirs publics.
Election présidentielle en mai, législatives en juin, sénatoriales en septembre… les trois récentes échéances électorales ont-elles constitué pour les SP une opportunité ?
Nous avons très tôt choisi de porter nos préoccupations. Tout a commencé avec la plate-forme interactive par laquelle près de 15.000 sapeurs-pompiers ont pu s’exprimer. Ils ont permis de construire les interpellations des candidats. Le renouvellement du paysage politique a abouti à l’émergence d’une nouvelle force et de nouvelles têtes. Nous sommes entrés dans un processus nouveau, fait d’échanges et de nécessités d’explications. L’état d’esprit est aujourd’hui de prendre part à des discussions vers de nouveaux projets, dans un esprit de co-construction.
Ces interpellations insistent sur l’effet de ciseau provoqué par des missions en hausse et des ressources en diminution. Faut-il y voir le creux d’un cycle ou s’apprêter à faire face dans la durée ?
Ce décalage, je le perçois depuis mon arrivée à la présidence de la FNSPF, en 2011 ! Et il ne cesse d’augmenter ! L’engagement opérationnel – du quotidien comme de l’exceptionnel – est toujours plus fort et, dans le même temps, de grands indicateurs sont à la baisse. Le système stagne. C’est démontré par de grands indicateurs qui sont à la baisse : les effectifs volontaires n’augmentent pas et ceux des SPP diminuent de 1% en 2016 avec les gels des postes. Un autre chiffre est terrible : l’investissement a diminué d’un tiers depuis 2010. Cela représente un manque sur les équipements avec un montant qui est passé de 800 à 540 millions d’euros, données qui sont par ailleurs recoupées avec celles communiquées par les industriels. Quant aux budgets de fonctionnement, leur hausse, lorsqu’elle a lieu, ne sert qu’à absorber le coût des évolutions statutaires. La plupart des Sdis mènent une politique de rationalisation. Interrogez-les individuellement, tout va bien… mais faites la synthèse nationale et tout ou presque est à la baisse ! C’est difficile d’avoir une visibilité à terme. Et c’est l’un des enjeux du Congrès national, avec l’adaptation de la gouvernance des Sdis et le renforcement de la ressource professionnelle et volontaire.
« De grands indicateurs sont à la baisse. »
Un système informatique national unifié pour les CTA-Codis a été annoncé. Il constituerait une plus-value opérationnelle pour les Sis et une source d’économie qui leur permettrait de réaffecter l’équivalent sur d’autres investissements…
Le processus pour évoluer vers un système opérationnel unique a débuté en 2017. Deux millions d’euros étaient prévus mais ce budget a été réduit de moitié car la DGSCGC a dû trouver 40 millions à économiser sur son budget global après les mesures budgétaires annoncées par l’État en juillet. Le déploiement de ce dispositif présente beaucoup d’enjeux pour les Sdis : pilotage opérationnel départemental mais aussi de la gestion des renforts interdépartementaux, sécurité informatique, optimisation de relations inter-services…, sans oublier le volet financier (perspective d’un coût national annuel de 20 M€ contre 60 M€ à ce jour).
L’objectif de 200 000 volontaires fixé en 2013 par le président de la République n’a pas été atteint. Un autre chef de l’État avait dit que « contre le chômage, on a tout essayé ». Et pour le volontariat ?
Les SPV sont 193 700. Le volontariat est un chantier, un engagement permanent, en prise avec la société. Depuis « Ambition volontariat », en 2008, et « Engagement national pour le volontariat », en 2013, le contexte a évolué. Prenez l’exemple des réseaux sociaux. Ils sont un outil de plus pour valoriser et promouvoir. Autre nouvelle donne, la crise économique est passée par là et la préoccupation de l’emploi peut limiter les vocations, ce qui est légitime. De même, nous n’étions pas confrontés au terrorisme de masse. Nous avons essayé beaucoup de choses et le volontariat a changé. Il faut maintenant engager une démarche pour comprendre ces changements, adapter notre offre et notre mode de gestion pour augmenter massivement l’effectif et donc notre capacité de réponse. Aujourd’hui, nous avons du mal à recruter à cause de la somme des contraintes de l’engagement. Il faudrait augmenter les effectifs de manière considérable et rénover le modèle en imaginant des formes d’engagement à géométrie variable. Deux exemples : faut-il subordonner une candidature à une disponibilité de tous les instants ? Des moyens de lutte et des volontaires formés contre l’incendie sont-ils absolument indispensables dans chaque CIS, au regard des renforts mutuels toujours possibles avec un maillage adapté ? Nous devons être en mesure d’accueillir celles et ceux qui veulent s’engager, mais avec des contraintes adaptées à leurs possibilités. En matière de formation, par exemple, le travail mené sur le secours routier avec les interventions d’urgence sur véhicule démontre que ces interventions sont de plus en plus techniques. La tendance est à la diminution du nombre de véhicules de secours routier, au profit d’engins plus équipés, ce qui diminuera la contrainte de formation. C’est une réponse complémentaire à celle que permet le volontariat polyvalent en termes de technicités.
Nos forces principales reposent sur le maillage et la dimension citoyenne de l’engagement. Nous devons les consolider pour faire face aux besoins et améliorer la résilience face aux crises. Pour répondre aux catastrophes, le besoin repose sur des déploiements humains et massifs mais qui ne nécessitent pas de haute technicité. Il faut essentiellement une organisation structurée et visible.
« Nos forces principales reposent sur le maillage et la dimension citoyenne de l’engagement. Nous devons les consolider pour faire face aux besoins et améliorer la résilience face aux crises. »
Vous semblez décrire la garde nationale…
Nous pensons que le modèle du volontariat est adapté à cette logique : une force en nombre élevé, pour des mobilisations intenses, mais de courte durée et ponctuelles. Malheureusement, la garde nationale a été conçue dans un champ restreint, uniquement comme un moyen supplémentaire des forces de l’ordre et militaires, et y compris pour des missions qui relèvent du quotidien. La Nation a perdu une opportunité de disposer d’une capacité de réponse en matière de sécurité civile qui soit souple, réactive et peu coûteuse, et dont les événements prouvent régulièrement qu’elle lui serait fort utile ! C’est d’autant plus vrai dans le contexte d’une forte mobilisation des forces armées dans la lutte contre le terrorisme qui limite ses possibilités d’engagement face aux catastrophes.
L’engagement, hors d’un cadre constitué, recouvre aussi l’implication des citoyens en qualité d’acteurs de sécurité civile…
Ce sera aussi un sujet phare du congrès et un enjeu assorti de propositions qui figurent dans le rapport que j’ai réalisé avec le docteur Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France. Le réseau associatif de la FNSPF a impulsé la démarche. Les relais se situent dans les Sdis pour la mise en œuvre de cet élément de politique publique. Et cette mission ne peut pas être une case à cocher si l’on en a envie ! Les sapeurs-pompiers disposent des moyens et des compétences. Et personne n’est plus légitime qu’eux sur le sujet.
Sur un registre plus interne, de nombreux sapeurs-pompiers se posent la question de savoir si vous allez être candidat à votre succession à la tête de la FNSPF…
Je suis élu jusqu’en 2018. Nous sommes à l’aube du Congrès national, moment d’unité de notre communauté. Il sera temps d’évoquer cette échéance en temps utile, c’est-à-dire au printemps, avant l’élection qui aura lieu au Congrès national de Bourg-en-Bresse en septembre prochain. D’ici là, mon engagement reste total et déterminé. Je continue à me battre. Je veux rester dans l’action, en pensant notamment à l’année à venir pour notre réseau associatif. Il compte plus d’adhérents et a accueilli de nouveaux présidents d’unions départementales, pour construire, ensemble, des actions institutionnelles importantes et des réponses solidaires et sociales toujours plus efficaces.
Propos recueillis par Dominique Verlet