Dessinateur opérationnel, la perspective fait école
[Magazine] Depuis le mois de décembre 2017, le Sdis de la Manche compte dans ses rangs dix « dessinateurs opérationnels ». Pour la première fois en France, un Sdis a mis en œuvre une formation sur le thème du « croquis opérationnel ».
Le dessinateur opérationnel est un sapeur-pompier à part entière. Sa mission est de réaliser des croquis représentant le sinistre dans son volume et de le mettre en trois dimensions avec une transparence pour montrer la problématique de l’intervention.
Lorsque le dessinateur arrive sur le site, il doit être capable de comprendre et retranscrire la configuration des lieux, et d’anticiper les axes de propagation du feu pour donner aux sapeurs-pompiers sur le terrain, ainsi qu’au Codis, des informations précises sur l’agencement des lieux. à la BSPP, le dessin opérationnel a été officialisé en 2010. à l’origine, un homme, l’illustrateur indépendant René Dosne.
Le lieutenant-colonel (rc) des pompiers de Paris y a développé dès les années 60, encouragé par le commandement, une technique de croquis opérationnel unique. Nul autre que lui n’a cette déconcertante facilité à rendre les perspectives en 3D des sinistres les plus dramatiques de ces cinquante dernières années. « Au Sdis 50, nous avions observé ce qui se faisait à la Brigade avec le lieutenant-colonel Dosne, un référent en la matière, d’autant plus que nous comptons parmi nos officiers un de ses disciples en quelque sorte, le capitaine Christophe Poisson, qui pratique déjà cette technique. De fait, nous étions réceptifs à la “spécialité”. En concertation, nous avons donc décidé d’organiser la première formation de dessinateurs opérationnels du Sdis 50 et de former dix officiers répartis dans nos différents groupements. Nous avons abordé la perspective du dessin opérationnel au sens large : nous l’utilisons comme un outil d’aide à la décision sur intervention aussi bien que pour faire de la prévision opérationnelle ainsi que des Retex », précise le contrôleur général Franck Davignon.
Une grande première
Après avoir formé ses successeurs à la Brigade ainsi que les SP de Genève, c’est donc légitimement le lieutenant-colonel (rc) René Dosne qui dispense et pilote cette première formation dans un Sdis.
Concrètement, le stage se déroule sur cinq jours, trois jours en salle et deux jours blocs de dessin à la main sur le terrain. Pour l’heure, au quatrième jour en salle de formation, les stagiaires étudient des cas concrets. Égrenant les types d’intervention depuis le matin, encore confortablement assis au bureau, la règle autorisée le premier jour a été bannie, mais les traits et les perspectives des stagiaires se font plus assurés. Une vue aérienne du site (souvent fournie via Google Earth) et l’entraînement du dessinateur vont lui permettre de transcrire cette vue en représentation volumétrique du bâtiment, avec une élévation entre trente et soixante mètres. Les codes couleurs sont les suivants : un feutre noir fin, un plus épais pour dessiner les contours des bâtiments, un gris pour donner du relief au volume et un orange pour indiquer les zones de feu. Les zones enfumées sont représentées par des hachures noires, et des fenêtres qui n’ont que peu d’importance au niveau du feu seront représentées au feutre gris. La formation a pour vocation de permettre aux stagiaires d’acquérir en peu de temps une méthodologie précise et efficace permettant l’élaboration rapide de croquis opérationnels en trois dimensions sur intervention. Le but est qu’après avoir fait le tour du feu et illustré le plus d’éléments possible, le dessinateur puisse proposer un premier croquis en moins de vingt minutes au Cos.
Dessiner l'essentiel
« Il ne faut pas faire des stagiaires des dessinateurs du dimanche mais des dessinateurs sapeurs-pompiers, c’est-à-dire ne pas dessiner ce qu’ils voient mais représenter l’essentiel de ce qu’il est bon de connaître », ajoute René Dosne. Les objectifs d’une telle compétence sont pluriels et ne se cantonnent pas uniquement au périmètre de l’intervention. Il s’agit de faire une représentation physique de l’intervention qui sera une aide dans la compréhension du système feu, de collecter de quoi effectuer un retour d’expérience, mais aussi de faire des croquis après feu qui seront exploités par les préventionnistes.
Le lendemain, changement de décor, les stagiaires se retrouvent dans les rues du Mont-Saint-Michel, intégrant de fait une position moins confortable, debout, dehors, dans le vent, avec un terrain qui impose ses contraintes. Qu’à cela ne tienne, les scénarios catastrophes s’enchaînent, feu généralisé avec départ dans les gaines techniques des voûtes de l’abbaye, incendie dans des locaux administratifs enchevêtrés sur plusieurs niveaux, feu dans un restaurant au pied du Mont…
Un outil indispensable
Le tout sous le regard malicieux et bienveillant de René Dosne qui décrypte, ajuste et corrige les crayonnés des stagiaires. « En 50 ans, on a vécu une explosion des technologies mais paradoxalement ces révolutions n’ont jamais remis en cause l’utilité du croquis opérationnel. Il y a bien sûr les vues Google Earth, il y a le drone, mais on ne voit toujours pas à travers les murs, il faut systématiquement envoyer un sapeur-pompier à quatre pattes dans la fumée pour dire que l’escalier est là, et que le feu est au fond », confie-t-il. « à l’issue de la formation, il y a tout un travail à faire pour que cette spécialité soit reconnue et donne lieu à une réponse opérationnelle au sein du département.
L’idée est de former un groupe qui sera déclenché lorsque l’intervention est significative, technique, atypique ou complexe à comprendre, pour apporter une plus-value au Cos. Nous envisageons une FMPA tous les deux mois car notre formation n’a de valeur que si l’on s'entraîne et qu’elle est intégrée dans une réponse opérationnelle du Sdis. À partir de là tout reste à écrire… », évoque le capitaine Christophe Poisson, chargé de mission auprès du directeur départemental. Face à la sollicitation opérationnelle et à la complexité accrue des interventions traitées par les Sdis, la « spécialité » croquis opérationnel pourrait bien devenir un outil supplémentaire d’aide à la décision des Cos.
Reportage : Stéphane Gautier
René Dosne, « croqueur de feux »
« Le dessinateur opérationnel n'a pas la prétention d'éteindre les feux, mais il participe à la résolution de l'intervention. »
SPF - le Mag : Quel est le profil d’un dessinateur opérationnel ?
René Dosne : C’est avant tout un sapeur-pompier qui a une bonne connaissance du feu et de l’organisation des secours sur intervention. Le sapeur-pompier sait évoluer sur un feu, sait marcher sur des toits, sait monter sur des échelles, et qui plus est sera capable de dessiner sur l’EPA. Même s’ils n’ont pas ou peu d’expérience ni même de formation en dessin, mieux vaut ce vécu de terrain sapeur-pompier qu’un jeune inexpérimenté issu des Beaux-Arts ou d’une école d’architecture.
Il faut des sapeurs-pompiers passionnés dans toutes sortes de domaines, car il faut avoir des notions d’architecture, connaître les matériaux. Ensuite, à nous de leur inculquer les bases de la perspective pour faire des volumes simples, des boîtes en quelque sorte.
En quoi consiste la formation de dessinateur opérationnel ?
La première partie du stage consiste à présenter ce qu’est le croquis opérationnel, à quoi il sert, l’intérêt qu’il peut représenter. Il est destiné en premier lieu au commandant des opérations de secours sur place au PC, au Codis ensuite pour renseigner les autorités qui vont se rendre sur les lieux du sinistre, mais surtout, si l’on fait appel à des renforts, à montrer quelle est la problématique du moment et comment on va les engager.
Souvent, les sapeurs-pompiers qui interviennent sur un secteur du feu n’ont qu’une vue parcellaire ; grâce au croquis en trois dimensions, les renforts vont avoir une idée globale de l’ensemble de l’intervention. Là, en un clin d’œil, ils savent ce qu’il se passe partout. En seconde partie du stage, je leur enseigne la perspective, c’est du dessin académique avec des points de fuite sur des sinistres qui se sont déjà déroulés. Pendant toute la journée je leur fais tirer des points de fuite, d’abord à la règle, ensuite à main levée. à ce moment-là, souvent, les stagiaires sont rassurés, ça se construit tout seul à la jonction des lignes. Puis je leur apprends à dessiner debout et dehors sur le terrain. L’étape suivante pour eux ce sera au feu, en intervention lorsqu’il faudra produire un croquis le plus vite possible.
Quelles sont les applications, en fonction des types d’intervention, du dessin opérationnel ?
Nous passons en revue les grandes familles de feu, et en fonction j’expose aux stagiaires ce à quoi ils doivent s’attendre et les détails auxquels ils doivent faire attention. Par exemple, pour un feu d’immeuble d’habitation, vous pouvez avoir un feu au pied de la cage d’escalier, un feu d’appartement, un feu de cage d’escalier, un feu de combles, un feu de boutique, un feu de cave…
En fonction de cela, on dessine simplement l’enveloppe du bâtiment que l’on considère comme une boîte transparente, pas besoin de détails comme les corniches, les balcons, etc. L’information qui prime est celle qui montre l’intérieur de l’immeuble, ce qui est dehors tout le monde le voit, il faut montrer ce qui se passe derrière les murs. Je leur apprends à faire des volumes simples, un parallélépipède pour l’appartement, un autre pour l’escalier et des codes graphiques de couleurs pour signifier l’escalier qui est en feu ou enfumé avec une propagation à un étage parce qu’il y a une porte ouverte.
Quelle est la valeur ajoutée du dessin opérationnel ?
Aujourd’hui, dans un monde ultra-informatisé avec tablettes, drones, vues aériennes, la plus-value opérationnelle du dessin est très clairement dans le fait de pouvoir traverser les murs ou mettre en exergue un point particulier, alors que la photo, la vidéo ne permet pas de traverser les murs. Le dessinateur peut apporter un éclairage particulier sur des axes de propagation comme des gaines techniques. Il s’agit de bien faire comprendre la volumétrie des bâtiments. Lors de l’intervention en cours, il permet de faire des points de situation et de suivre l’évolution du sinistre.
Quels sont les secrets d’un bon croqueur de feu ?
Il faut savoir se détacher de l’ambiance générale de l’intervention, se focaliser sur sa mission qui est de rendre un croquis rapide dans les dix, quinze minutes qui suivent la présentation sur l’intervention. Il faut qu’ils aient la facilité de dessiner rapidement, avec un bon esprit de synthèse, et bien sûr l’expérience du sapeur-pompier. Le dessinateur opérationnel n’a pas la prétention d’éteindre les feux, mais il participe à la résolution de l’intervention et à tout le moins à la bonne compréhension de la problématique pour le plus grand nombre des intervenants.
Propos recueillis par Stéphane Gautier
La preuve par l'image
Démonstration du colonel René Dosne, lors de la formation au croquis opérationnel organisée par le Sdis de la Manche, en décembre 2017.
Vidéo réalisée par LaMancheLibre. [Voir l'article complet]