Chiens d'avalanche : la truffe du sapeur-pompier
[MAGAZINE] Chaque année, au mois décembre, une vingtaine d’équipes cynotechniques se retrouve en Isère, à la station des Deux-Alpes, pour valider leur brevet national de maître-chien d’avalanches. Pendant deux semaines, chiens et maîtres doivent montrer leurs compétences à retrouver des victimes ensevelies sous la neige. Aboutissement de longs mois de travail et d’apprentissage pour des binômes liés par le même diplôme.
À deux pas des pistes, sur le glacier des Deux-Alpes, les skieurs assistent à un spectacle bien étrange. Une coulée de neige semble avoir recouvert une partie du glacier. Et là, des chiens partout, des maîtres aussi, des secouristes, des pelleteurs : beaucoup d’activité dans ce secteur habituellement préservé, hors du domaine skiable. Et pourtant rien de grave, pas même une petite avalanche, mais une formation de conducteurs cynotechniques. Ici, à 3 500 mètres d’altitude, on est sûr de trouver de la neige même au mois de décembre, quand elle se fait attendre partout ailleurs.
Maître-chien d’avalanche, voici une spécialité qui a de quoi faire rêver. L’amour des chiens, la passion de la montagne, l’envie de porter secours... et pourtant la vie de maître-chien n’est pas si idyllique. D’abord, il faut trouver un chien qui saura travailler. Malgré le choix du chiot dans la bonne lignée génétique et issu d’un bon élevage, ce n’est pas une science exacte. Cela est arrivé à Jean-Michel Morlot, moniteur sur le stage, SPP au Sdis 64 et conseiller technique de son département. « J’ai dû arrêter mon premier chien, un compagnon génial pour la famille mais qui manquait de mordant au travail. C’est toujours difficile à accepter et très dur au moment de la séparation. » Si le chien n’est pas breveté, la déception est grande, et parfois certains maîtres abandonnent la spécialité. Reprendre un nouveau chien, c’est d’abord se séparer du premier, et tout recommencer à zéro après deux ans d’investissement et de travail.
Mais le rêve de Jean-Michel ne pouvait pas s’arrêter là. Depuis son passage à la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris, il construit son parcours pour devenir maître-chien. Il reprend un second chiot, sur les conseils de son entourage. L’achat s’effectue à l’âge de deux mois, juste après son sevrage avec la mère. Toujours un mâle pour éviter les odeurs à connotations sexuelles qui pourraient perturber le travail de recherche. La première étape consiste à créer des relations sociales et amicales avec la famille. À trois mois, le maître lui prépare des petits exercices simples fondés sur le jeu avec un chiffon, une balle. L’idée est de le faire gagner, développer sa motivation et son envie de recommencer. « Lorsqu’il trouve la personne, le chien est récompensé en jouant avec son boudin. Sur le terrain, ce sont les fausses victimes, des "apaches" comme on les appelle, qui jouent avec lui. Ces exercices renforcent sa motivation et sa persévérance. Sur intervention, il n’y a pas forcément de récompense mais ce n’est pas grave, car plus tard ou le lendemain, son maître lui préparera un autre exercice. » C’est la phase de conditionnement de l’animal : « je cherche, je trouve, je joue ».
Maître-chien, un mode de vie !
Ensuite commence la période d’imprégnation. Troupeaux de moutons, hélicoptère, dameuses, champ de neige, remontées mécaniques, le chien se familiarise avec un environnement qu’il risque de rencontrer plus tard. À partir de 8-10 mois, on commence les phases de travail avec des séquences de recherche et de fixation toujours fondées sur le jeu et la récompense. L’instinct primaire du chien est la chasse, la prédation. Pour lui, la victime devient un gibier à retrouver. Pour cela, il doit localiser le foyer d’odeur le plus rapidement possible. Ces exercices de préformation sont encadrés par le moniteur du département qui voit chaque binôme en moyenne une fois par mois, de préférence avec d’autres conducteurs, pour sociabiliser les bêtes et leur apprendre à fonctionner ensemble. Jean-Michel travaille aujourd’hui avec son quatrième chien, Jeep, un berger belge malinois de deux ans. La vie de famille s’organise autour de Jeep, aussi breveté chien de décombres. « Il faut apprendre à vivre tout le temps avec lui. Les interventions sont rares, mais il faut être toujours prêt à partir, chien et matériel. Les vacances sont souvent écourtées ; j’essaie au maximum de partir avec lui. Cela modifie forcément notre vie de famille car l’animal prend beaucoup de place. Par contre, il vit à l’extérieur de la maison. C’est avant tout un chien de travail qui doit aimer jouer et donc travailler ! » Quand Jean-Michel retrouve ses collègues moniteurs de l’Anena (Association nationale pour l’étude de la neige et des avalanches), Guy, Fabienne, Mylène, François, Éric et Solène, encore monitrice stagiaire, tous savent que les dix-huit stagiaires ont déjà beaucoup travaillé pour être présents et que tous ont reçu l’aval de leurs moniteurs départementaux. Le premier jour, un vétérinaire local vérifie l’état de santé des animaux. Si le saint-bernard n’est plus accepté depuis longtemps à cause de son poids et son manque de résistance, différentes races sont aptes à intervenir : berger belge (malinois, tervueren, groenendael), berger allemand, retriever (golden, labrador, flat coated), border colley, berger australien, setter irlandais et anglais, plus quelques croisements entre ces différentes races. De leur côté, les stagiaires commencent par un petit test DVA (détecteur de victimes en avalanche) chronométré qui ne pose généralement aucun problème pour ces habitués de la montagne. La plupart sont des pisteurs-secouristes envoyés par leur station. En effet, pour la recherche de personnes sous la neige, le temps est précieux. Le maître-chien rassure et peut intervenir rapidement dans le domaine skiable et en dehors, sur demande de la préfecture, en renfort des services de secours en montagne, surtout lorsque l’hélicoptère ne peut pas décoller.
Une formation de montagnard
Dès le deuxième jour, Xavier Stinglhamber, directeur technique de la formation, et Guy Anciaux, conseiller cynotechnique du stage, imposent un rythme de croisière avec une progression régulière et des classes homogènes, qui tiennent compte aussi des races. Tout le monde se retrouve au petit déjeuner à 6 h 45. Préparation du casse-croûte, équipement avec tenue chaude obligatoire car, à 3 500 mètres, la température atteint facilement –10 °C. Rendez-vous à 8 h au chenil, dans un parking souterrain prêté par la commune où les chiens dorment dans la voiture. Détente hygiénique avant de se retrouver au pied des remontées mécaniques pour le briefing de la journée. Trois par trois, les chiens montent dans les cabines qui les emmènent jusqu’au glacier. Vers 9 h, les dix-huit stagiaires se retrouvent sur le glacier en haut de la télécabine du Jandri. Ils se regroupent par classe pour une petite marche en skis de randonnée et peaux de phoque. Les déplacements avec le chien font également partie de l’évaluation. Sur le terrain, les stagiaires commencent par faire des trous avec des ballons de baudruche et l’aide des dameuses de la station. Vers 11 h, les chiens entament les exercices de motivation. D’abord sur des trous ouverts avec une personne dedans et le jouet du chien : un boudin avec lequel il s’amuse, sa récompense quand il trouve !
Des exercices évolutifs
Les exercices sont évolutifs pour finir par la localisation d’une victime dans un trou fermé. Le chien apprend à détecter les odeurs humaines sous le manteau neigeux. Il doit occulter toutes les odeurs résiduelles de surface. Notre corps produit en permanence des odeurs qui se propagent sous la neige. Le chien essaye de se rapprocher au plus près du foyer principal en sachant que les odeurs, comme l’eau, cherchent toujours le chemin le plus facile pour remonter à la surface. Pour cette raison, le chien ne s’arrête pas toujours à l’aplomb de la victime mais parfois dans un rayon de quelques mètres. Au fil de la semaine, les chiens vont apprendre à travailler ensemble par deux ou trois sur un même terrain. Les maîtres vont devoir repérer leurs secteurs pour diriger le chien dans la direction choisie. Toujours des petits ordres clairs et précis pour recadrer le chien sans le démotiver. À la fin du stage, les chiens sont capables de retrouver jusqu’à trois personnes ensevelies en présence d’autres chiens et des sauveteurs. À 15 h 30, c’est la descente à skis, une nouvelle épreuve avant de retrouver la station. Chasse-neige, porté de chien, les sauveteurs et leurs chiens sont à l’aise partout.
Au retour à l’hôtel, un formateur parle d’un sujet théorique comme le sac opérationnel, les exemples d’avalanche, les déplacements. Ensuite, les moniteurs reprennent individuellement chaque dossier. Le maître est évalué sur son intégration dans le groupe, son déplacement dans la neige, l’éveil du chien, sa mise au travail, sa conduite, son analyse de l’itinéraire et la récompense à la découverte. Pour les chiens, les critères sont la motivation, la prospection, la fixation, le grattage et la découverte de la victime. Chaque point est évalué en détail et lorsque certaines notions ne sont pas acquises, les moniteurs proposent des exercices particuliers pour le lendemain. Les chiens n’avancent pas tous au même rythme. À 19 h, stagiaires et moniteurs se retrouvent autour du repas du soir avant de retourner au chenil pour le dîner du chien.
Sur ce stage, Jean-Michel, Mylène et Éric ont un statut particulier car ils sont là à la fois pour encadrer la formation et pour faire évaluer leur propre chien. En effet, les moniteurs sont d’abord des maîtres-chiens opérationnels. Comme ils connaissent parfaitement la formation et ont déjà eu plusieurs animaux, ils sont dispensés de stage mais doivent faire valider leur nouveau chien comme tous les autres stagiaires devant un jury indépendant. Un seul chien ne sera pas validé, celui de l’une des monitrices. Ce brevet national de maître-chien d’avalanches, délivré par la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, leur permet d’intégrer la liste opérationnelle préfectorale. La certification intervient entre les dix-huit mois et les quatre ans de l’animal. Après, les équipes continuent d’être suivies avec au minimum cinq journées de recyclage obligatoire dans la saison. En cas de souci, le binôme sort de la liste pour un temps pouvant aller jusqu’à la réforme de l’animal. Le chien travaille en moyenne huit ans avant de prendre une retraite bien méritée en famille.
En France, environ 150 équipes cynotechniques sont opérationnelles sur l’ensemble des massifs, dont une trentaine pour les gendarmes et CRS qui ont leur propre formation basée à Chamonix. Les 120 maîtres-chiens civils sont formés par l’Anena, seul organisme de formation agréé par la sécurité civile. Il s’agit en grande majorité de pisteurs-secouristes des stations de sports d’hiver auxquels s’ajoutent une quinzaine de sapeurs-pompiers impliqués dans le secours en montagne. L’Anena forme également les maîtres-chiens d’Andorre, du Val d’Aoste en Italie, des équipes argentines et roumaines. Sur la saison 2014 / 2015, l’Anena a comptabilisé 60 accidents d’avalanche (randonnée à ski, hors-piste, alpinisme) faisant 45 décédés, 36 blessés et 45 personnes sorties indemnes. Ces chiffres montrent l’importance d’un secours efficace en montagne, dont les maîtres-chiens font partie intégrante.
(Texte et photo : Patrick Forget)
Mythe et épopée...
Le chien occupe aujourd’hui une large place dans le secours en montagne. Du chien Barry à l’Anena, retour sur les étapes de cette intégration.
Vers le début du XVIIIe siècle, des chroniques témoignent des premiers sauvetages. À l’époque, les moines suisses de l’hospice du Grand Saint-Bernard utilisent des grands chiens de montagne pour la garde qui se révèlent très efficaces dans la recherche des personnes disparues. Au début des années 1800, les exploits du chien Barry, qui sauve quarante personnes, participent largement à leur renommée. À la suite d’une épidémie, les moines chargés de leur élevage accouplent les derniers survivants avec un terre-neuve. Le croisement donne naissance à une nouvelle race, le saint-bernard, qui devient le chien national suisse en 1887. Ce chien rustique à l’odorat développé participe aux premières missions de recherche de personnes disparues dans la neige.
Mais ce gros chien, pas très endurant et difficile à entretenir, est remplacé plus tard par des chiens plus petits et dynamiques, et aux qualités olfactives identiques. L’hiver 1937-1938, dans les Alpes suisses, dix-huit jeunes garçons sont emportés par une avalanche. Dix-sept sont rapidement retrouvés mais un dernier manque à l’appel. Par hasard, un chien bâtard, qui accompagne la colonne de secours, gratte la neige hors du périmètre de recherche. Les secouristes découvrent la dernière victime encore vivante. À la suite de cet événement, le gouvernement helvétique décide d’intégrer des chiens dans le secours en montagne, d’abord avec l’armée puis avec le Club alpin suisse.
En France, il faut attendre 1956 pour voir arriver chez les CRS de montagne les premiers chiens spécialisés dans la recherche de victimes ensevelies sous la neige. En février 1970, une avalanche sans précédent ravage l’UCPA de Val d’Isère. Avec 39 morts, essentiellement des enfants, la France est sous le choc. Six mois plus tard, un glissement de terrain fait 72 morts sur le plateau d’Assy. Le gouvernement nomme une commission interministérielle pour enquêter sur ces catastrophes et réfléchir à la sécurité dans les stations de montagne. Le 11 octobre 1971, l’Association nationale pour l’étude de la neige et des avalanches (Anena), créée pour l’occasion, se charge de la prévention et la prévision de ces risques. En 1977, le ministère de l’Intérieur valide le brevet national de maître-chien d’avalanches, et attribue à l’Anena l’agrément de la formation des conducteurs et des moniteurs cynotechniques en 1992.
Retrouvez le dernier numéro du magazine Sapeurs-pomiers de France
Abonnez-vous au magazine Sapeurs-pompiers de France