15 avril 2019 : il faut sauver Notre-Dame
[Magazine] L’embrasement de sa toiture, le 15 avril, n’a pas terrassé l’édifice. La structure et les deux tours de Notre-Dame de Paris ont pu être épargnées ainsi que la quasi-totalité des œuvres. Retour sur une nuit de lutte, explications sur ces combats hors normes et réflexions sur un choc qui a captivé le monde.
Un cocktail de difficultés, hors normes et classiques
Cathédrales, églises, châteaux, musées... Pour les secours, l’intervention sur un site historique conjugue deux difficultés : le bâtiment lui-même, avec ses particularités architecturales par définition souvent antérieures aux normes de construction, mais aussi la nécessité de préserver son contenu avec les œuvres d’art qu’il comporte.
Par Dominique Verlet
Photos : Stéphane Gautier
Les monuments historiques sont souvent des édifices élevés, avec du bois très présent comme matériau de construction, des circulations intérieures complexes et étroites, et une implantation au cœur des villes avec parfois des façades qui peuvent être difficiles d’accès, ou situés en campagne avec un éloignement de tout système hydraulique et des accès routiers pas toujours faciles. Autant d’éléments qui rendent l’intervention complexe pour les secours dont la progression est difficile à l’intérieur et qui peut être limitée par des risques d’effondrement. Une configuration qui correspond en de nombreux points à Notre-Dame. Pour Serge Delhaye, fondateur du bureau d’études « CSD associés », spécialisé dans le conseil en prévention incendie et qui avait réalisé une mission d’étude pour le site, «le sinistre a surpris car il n’y en avait jamais eu depuis 800 ans. La détection était installée depuis 15 ans et l’accès aux combles était strictement réglementé. Ce qui a caractérisé le sinistre, c’est son éclosion en volume caché. Dès la percée par les flammes au niveau du socle de la flèche à l’épicentre de l’édifice, l’opacité et le volume de fumées démontrait l’ampleur et l’intensité du foyer intérieur, analyse-t-il. L’absence de recoupement vertical et le vent d’est ont facilité la propagation vers les tours, qui a pu être stoppée pour leur éviter des dommages structurels.»
Prévention et prévision
«Une cathédrale telle que Notre-Dame relève des établissements recevant du public de type “v ”, établissements de culte, associé au type “y”, au titre de la salle d’exposition. Avec un public admissible de plus de 1 500 personnes, il est classé en première catégorie et peut recevoir deux personnes par mètre carré ou une pour 50 cm de banc, rappelle Stéphane Ceccaldi, expert patrimoine aux Sdis 2A et 78. La réglementation, poursuit-il, prévoit notamment une détection incendie, du personnel de service de sécurité et d’assistance aux personnes aux heures d’ouverture au public ainsi que les moyens d’extinction (un extincteur pour 250 m2 par niveau, robinets d’incendie armés...), les dimensions adaptées d’issues d’évacuation, la signalisation et l’éclairage.» Lorsque des travaux par points chauds (soudure...) sont nécessaires, ils doivent être interrompus deux heures avant la fermeture du chantier afin que le site demeure sous surveillance et pour éviter un départ de feu à retardement par point chaud non stabilisé. Des dispositions de prévention qui lorsqu’elles ont échoué peuvent être complétées par une démarche de prévision. Elle met en place des mesures pour limiter les conséquences du sinistre. Les Sdis disposent de plans d’établissements répertoriés : comme pour tous les sites particuliers, ils comportent les secours à engager en cas d’alerte, dimensionnés en fonction du risque, les plans du bâtiment et les emplacements de points d’eau. «Pour les bâtiments historiques, ils sont complétés par un plan de sauvegarde des biens culturels», explique le commandant Hervé Ballandraux, chef du groupement prévision au Sdis 95. Ils détaillent l’inventaire et l’emplacement des œuvres à préserver en priorité et sont remis au commandant des opérations de secours à son arrivée sur place. Tableaux, sculptures, meubles... «les victimes ne sont pas physiques mais artistiques», poursuit Stéphane Ceccaldi. L’enjeu est de protéger les œuvres des flammes, de la fumée, de l’eau et des effondrements. «Moins on bouge une œuvre d’art, mieux elle se porte, résume-t-il, mais entre deux maux, il faut parfois choisir le moindre.» Un choix tactique décisif à opérer entre extraction et protection. Ils peuvent être réalisés grâce à des « Lepo », lots d’extraction et de protection des œuvres, qui sont composés de bâches de protection (feu ou non feu selon les budgets possibles), de diables, de caisses, de couvertures, de gants propres et même de cutters pour, s’il le faut, découper in extremis autour du cadre la toile d’un tableau intransportable. Et contrairement aux normes de prévention, ces procédures de prévision ne relèvent d’aucun cadre réglementaire. Selon Stéphane Ceccaldi, «elles reposent sur la conception de stratégies a priori, les échanges avec les services concernés et les retours d’expérience de sinistres passés». Un dernier point que l’incendie du 15 avril 2019 pourrait largement alimenter.
Cernée par les lances
La survie de la cathédrale est restée incertaine pendant de longues heures. Chronologie d’une nuit de suspense et, pour les sapeurs-pompiers, de lutte acharnée.
Par Manuel Sadaune
18 heures 51
Un violent incendie se déclare dans les combles de Notre-Dame et se propage rapidement. La toiture est longue de 100 mètres et représente en surface 2 800 m2 à 35 mètres de haut pour le faîte. Une double mission se présente aux secours à leur arrivée. Première mission : l’incendie, avec comme priorité de sauver les deux tours et leurs beffrois qui supportent les cloches reposant sur une charpente en bois. Seconde mission : la sauvegarde des biens, œuvres d’art et reliques. Un important dispositif est mis en place. Au plus fort de l’action, 374 sapeurs-pompiers sont mobilisés et 68 engins, dont 222 personnels et 38 engins de la BSPP. Les Sdis de la grande couronne ainsi que les Sdis 28, 60 et 76 mobilisent 152 sapeurs-pompiers et 30 engins en renfort. Ils sont maintenus en réserve au centre de regroupement des moyens à la caserne Masséna (Paris 13) ou engagés sur site, comme les bras élévateurs articulés de 42 mètres de Versailles et Magnanville (78), et de Saint-Germain-sur-Morin et Savigny-le-Temple (77). Des équipes Grimp et de sauvetage-déblaiement, en vue de besoins d’étaiement, renforceront également le dispositif. Des lances, 18 au total, seront établies, directement alimentées à partir de la Seine par des bateaux-pompes. Au début de l’intervention, le vent joue contre l’action des sapeurs-pompiers. Le sauvetage de la cathédrale n’est pas acquis.
19 heures 53
La flèche de l’édifice, culminant à 93 mètres de haut, s’effondre sur elle-même à travers la voûte de la nef, éparpillant des débris enflammés. Les secours concentrent leurs efforts sur l’attaque par l’extérieur avec des porte-lances et par l’intérieur de la nef avec un robot. La crainte que le feu se propage aux beffrois est toujours présente. Des drones sont utilisés et permettent d’avoir une vision précise du développement du feu dans la toiture. Ils orienteront les choix tactiques des sapeurs-pompiers à un moment où le feu peut potentiellement atteindre les deux tours.
21 heures 55
Le sauvetage du bâtiment n’est toujours pas acquis. Le feu intéresse les deux tiers de la toiture, qui s’est effondrée. La manœuvre vise alors à préserver l’arrière de la cathédrale, où sont situées les œuvres les plus précieuses. La seconde manœuvre concerne le beffroi Nord, plus exposé, afin d’éviter l’effondrement des
bourdons – cloches à son grave –, qui pourrait occasionner, par leur chute, la destruction de la tour. Les œuvres les plus précieuses sont mises à l’abri ou protégées sur place.
22 heures 47
La structure et les deux tours de Notre-Dame sont sauvées et préservées dans leur globalité. Le feu a baissé en intensité et est considéré comme maîtrisé.
2 heures 05
Le feu est éteint. Un long refroidissement s’engage avec des lances qui manœuvrent sur des foyers résiduels.
Aux environs de 7 heures
Une centaine de sapeurs-pompiers sont encore déployés sur place et huit lances toujours en activité. La phase de surveillance, de sécurisation et d’expertise débute.